« Restaurer du sens et apaiser le climat » : Gilles Guilleux prend la tête du Conservatoire de Lyon
Nouvelle tête / Ancien directeur du Conservatoire de Pau, récemment transformé en Conservatoire à rayonnement régional, Gilles Guilleux succède à Géry Moutier à la direction du CRR de Lyon. Il dévoile les grandes lignes de son projet dans un contexte institutionnel fragilisé.

Photo : Gilles Guilleux, nouveau directeur du Conservatoire à rayonnement régional DR
Le Petit Bulletin : Vous étiez directeur du CRD de Pau depuis 2021, devenu CRR en 2024. Quels sont les enseignements de cette expérience que vous comptez mobiliser à Lyon ?
Gilles Guilleux : D'un territoire à l'autre, les contextes diffèrent. On ne peut pas dupliquer un modèle, même si certains cadres réglementaires - notamment en éducation artistique et culturelle, en théâtre et en musique - sont communs. À Pau, j'ai travaillé sur des formes pédagogiques innovantes pour compléter le modèle traditionnel du maître et de l'élève, en développant des approches plus collectives et différenciées. Un conservatoire doit proposer plusieurs parcours : des cursus complets, mais aussi des stages ou des formations supplémentaires pour élargir les possibilités. C'est une pédagogie en mouvement, qui doit donner du sens aux apprentissages. Je suis trompettiste, et je sais combien l'apprentissage peut paraître contraignant s'il n'est pas mis en perspective. C'est pourquoi il faut donner du sens aux dispositifs. Je pense par exemple au dispositif "tutti" que nous avions imaginé à Pau afin de combiner formation musicale, orchestre et pratique instrumentale dans une logique concertée dans un seul et même temps d'enseignement. Cela repose sur l'engagement des équipes, et mon rôle est de les accompagner dans cette dynamique.
Un Conservatoire, c'est à la fois une école, un centre culturel, un lieu de diffusion. Quelle est votre vision de l'institution ?
GG : C'est un lieu de vie, de rencontre et de pratique. Les élèves y acquièrent des connaissances artistiques durables, mais aussi des compétences sociales : respect, écoute, expérience collective. La danse, par exemple, place l'individu au sein d'un groupe et façonne une autre approche du monde. Le Conservatoire a aussi une mission éducative plus large, grâce, notamment, à ses 31 intervenants dumistes [diplômés universitaires musiciens intervenants ndlr] présents dans les écoles. Cela permet d'aller vers les familles et de toucher des publics qui ne franchiraient pas forcément nos portes.
L'institution occupe une place particulière, entre formation professionnelle et pratique amateur. Comment comptez-vous articuler ces deux dimensions ?
GG : Le Conservatoire forme des élèves dès le plus jeune âge, mais aussi ceux qui souhaitent se professionnaliser, que ce soit en musique, en théâtre ou en danse. Nous devons rester exigeants sans être élitistes. L'idée est d'offrir des parcours différenciés, avec des modules, des stages, des antennes dans les arrondissements pour toucher les habitants de proximité. Nous garantissons les cursus, mais avec une flexibilité qui permet à chacun de trouver sa place.
Le numérique et l'IA occupent une place croissante. Quelle est votre position sur ces outils ?
GG : Avec l'IA, il faut être prudent. C'est un peu comme aux débuts d'internet, il ne s'agit pas de refuser, mais de l'intégrer avec discernement. L'essence de l'activité artistique restera toujours la relation entre professeur et élève. Le numérique, nous l'utilisons déjà. Durant la crise du Covid à Pau, j'ai appuyé le projet porté par un enseignant qui était de créer une plateforme dédiée à la formation musicale avec cours et ressources en ligne. Cette expérience a montré que le numérique pouvait enrichir la pédagogie, à condition d'être pensé comme un complément, pas comme un substitut. L'IA devra être envisagée de la même manière.
Le CRR de Lyon côtoie le CNSMD, l'Opéra, la Maison de la danse... Quelle identité souhaitez-vous donner au Conservatoire ?
GG : Je crois à une politique hors les murs. Il faut renforcer les partenariats avec ces grandes institutions, multiplier les collaborations en musique, en danse, en théâtre. Cela donne une dynamique collective et valorise la singularité du Conservatoire comme lieu d'expérimentation et de diffusion.
Votre arrivée intervient après deux audits menés par la Ville de Lyon, sur les risques psychosociaux et sur le fonctionnement global. Où en sont-ils ?
GG : J'ai pris connaissance des documents. Si j'ai été recruté, c'est sans doute parce qu'ils ont vu en moi la capacité de travailler sur ces difficultés, de remettre du sens et de la confiance dans l'institution. Mon objectif est d'apaiser et de construire collectivement avec une équipe de plus de 150 enseignants et personnels administratifs. Le comité de direction, composé de six directeurs, est un appui essentiel pour redonner confiance. L'idée n'est pas de balayer la poussière sous le tapis, mais de remettre le bien-être au cœur de la maison.
Plusieurs défaillances ont été pointées : absentéisme élevé, absence de critères d'évaluation des professeurs. Comment comptez-vous restaurer un climat de travail apaisé ? Qu'est-ce qui, dans ce diagnostic, vous paraît prioritaire ?
GG : L'écoute. Accompagner les projets des uns et des autres, créer de la disponibilité, redonner de la confiance. Nous devons aussi renforcer les liens entre équipes pédagogiques et administratives. Il n'y a pas de sujet tabou. Chaque point sera analysé. Mon objectif est de garantir la continuité du service public, en dialogue constant avec les représentants du personnel. Concernant l'évaluation, je crois qu'il ne faut pas craindre le mot. Évaluer, ce n'est pas juger, c'est donner des repères, offrir une reconnaissance, ouvrir des perspectives. Aujourd'hui, le CRR de Lyon manque d'outils partagés dans ce domaine. Je veux travailler, avec les représentants du personnel, à une méthode claire, transparente et équitable.
Avez-vous rencontré l'adjointe à la Culture de la ville de Lyon, Audrey Hénocque ? Quelle feuille de route avez-vous fixée avec la Ville ?
GG : Oui ainsi que Cédric Van Styvendael [vice-président de la Métropole de Lyon chargé de la Culture ndlr] et nos échanges confirment les grands axes qui sont la diversité de l'offre pédagogique, la proximité grâce aux antennes locales, le respect du projet d'établissement en cohérence avec la politique culturelle de la Ville et de la Métropole. Le Conservatoire reste une institution indépendante, mais il fait partie intégrante des services culturels du territoire. C'est sur cette base que nous allons travailler.