« La situation budgétaire des collectivités s'est dégradée en matière culturelle »

Publié Jeudi 27 novembre 2025

Politique culturelle / L'organisme grenoblois L'Observatoire des politiques culturelles, spécialisé dans l'étude, l'analyse et l'accompagnement des politiques publiques de la culture vient de rendre son baromètre sur les budgets et choix culturels des collectivités territoriales 2025. Celui-ci rend compte d'une rupture avec les résultats des précédentes enquêtes : la situation budgétaire des collectivités territoriales et de leurs groupements s'est fortement dégradée en matière de politiques culturelles. Entretien avec l'un des chargés de recherches de ce baromètre, Samuel Périgois.

Photo : Samuel Périgois DR

Le Petit Bulletin : Pourquoi avoir initié cette étude ?

Samuel Périgois : L'observatoire a une trentaine d'années d'existence, son histoire est liée notamment à la montée en puissance des collectivités territoriales et des intercommunalités. Il se situe à l'interface entre les décideurs, les professionnels, les artistes et la recherche. Ce baromètre est une démarche qu'on mène depuis plusieurs années pour disposer d'un outil de mesure des politiques culturelles avec un certain nombre de partenaires, notamment le ministère de la Culture, des associations de collectivités et des réseaux de responsables culturels.

Cette enquête examine le positionnement culturel des collectivités, notamment par rapport à des éléments de conjoncture qui peuvent varier d'une année sur l'autre. On la réalise en deux volets, un premier national, qui cible les grandes catégories de collectivités et d'intercommunalités, et on va publier un second volet qui cible les petites et moyennes villes d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Les données sont déclaratives, basées sur les budgets primitifs des collectivités, qui peuvent différer des budgets réalisés. Notre enquête se base surtout sur des fourchettes d'évolution, en privilégiant des tendances budgétaires.

LPB : En dépit des nombreuses alertes lancées par les acteurs culturels, notamment en 2023 et en 2024, vous aviez déduit que la stabilité budgétaire dominait, même si on constatait des flambées inflationnistes. 2025 marque une rupture : pourquoi ?

SP : L'année dernière, on observait dans le baromètre, une tendance à la stabilité. Les moyens étaient de plus en plus contraints, mais beaucoup de budgets de collectivités avaient été maintenus. En 2025, la situation budgétaire s'est dégradée de manière générale : le budget primitif total (culture mais aussi éducation, aménagement, autres domaines d'action publique...) de nombreuses collectivités a baissé, et cette contraction se ressent fortement sur la culture. 47% des répondants ont déclaré une baisse de leur budget culturel total entre 2024 et 2025, avec une différence de situation notamment sur les budgets culturels de fonctionnement : les régions et les départements sont particulièrement affectés par cette baisse, qui concerne deux tiers des régions et 70% des départements.

Il faut avoir en tête la manière dont les dépenses culturelles sont structurées : le bloc local (communes et intercommunalités) est un peu moins impacté. C'est aussi celui qui amène le plus de moyens en matière culturelle. Cela permet d'une certaine manière de contenir le choc budgétaire pour les politiques culturelles.

LPB :  La culture est-elle plus touchée que les autres domaines d'action publique ?

SP : Pour 63% des responsables culturels interrogés, les baisses seraient identiques aux autres domaines, 18% disent que les baisses sont plus importantes dans la culture. Il est vrai que sur les budgets de fonctionnement, beaucoup de domaines sont dans le rouge, les déclarations de baisse sont importantes. Cela serait très inquiétant si cela venait à perdurer.

LPB : En culture, quels domaines sont les plus touchés, et pourquoi ?

SP : Ce sont surtout le spectacle vivant, les festivals et les événements ainsi que l'action culturelle d'EAC qui sont particulièrement touchés. On peut faire des hypothèses : certains champs relèvent de compétences obligatoires. Par exemple, on peut penser à la lecture publique ou aux enseignements artistiques pour les départements. Ces domaines sont parfois un peu plus préservés.

On ne retrouvait pas à de tels niveaux ces alertes dans les montants qui nous étaient déclarés au cours des années précédentes. Là, beaucoup de choses se sont succédées : le contexte d'inflation, de crise énergétique, des marges de manœuvre réduites pour certaines collectivités ou encore une pression mise sur telle ou telle compétence obligatoire.

LPB :  Cela a-t-il un impact sur les emplois ?

SP : Évidemment, sur les emplois et sur les subventions aux associations qui financent des emplois. 42% des responsables culturels interrogés déclarent une baisse de subventions versées aux associations culturelles entre 2024 et 2025. Un de nos outils pour se faire une idée globale est notre "cartocrise" : c'est une cartographie contributive, participative, complétée par les acteurs, les équipements et les associations qui indiquent les baisses de leurs soutiens publics. Cela permet de faire remonter des chiffres sur les baisses de ces derniers en regardant les montants et les domaines précis. Le baromètre et la cartocrise permettent d'avoir une vision complémentaire.

LPB : Observe-t-on une dégradation de la coopération publique en matière de culture ?

SP :  On a interrogé les responsables culturels des collectivités via le baromètre. Il y a une stabilité qui est souvent citée. Il y a aussi des répondants qui disent que la coopération a diminué, qu'ils travaillent moins avec l'État ou avec les autres niveaux de collectivités territoriales. C'est important de rappeler qu'à partir du moment où une collectivité se retire, le financement croisé reste dans les mains de ceux qui restent. 

Une hausse des entraves et atteintes à la liberté de création ?
Adossé au baromètre de 2024, le vice-président de l'Observatoire de la liberté de création François Lecercle a publié une analyse qui interroge la tendance à minorer les entraves et atteintes à la liberté de création. Celles-ci serait souvent mal identifiées en tant que telles par les collectivités car souvent justifiées par la protection des personnes que l'œuvre est susceptible de blesser. François Lecercle avait notamment noté qu'« en dépit de la diversification des auteurs et des motivations, les menaces les plus sérieuses continuent de venir de l'extrême droite politique et religieuse, les activistes se sentant confortés par son influence grandissante dans les urnes ». Il a aussi noté que les entraves les plus difficiles à démontrer sont « les abus de pouvoir des responsables politiques, qui s'arrogent un droit de regard sur les choix des institutions culturelles ou qui pèsent sur l'attribution des financements en fonction de leurs options idéologiques », concluant qu'il importe donc d'inciter les collectivités à plus de vigilance.