LETTRE OUVERTE À MR CHRISTIAN SCHIARETTI

Publié Mercredi 7 décembre 2011

(Cette lettre ouverte est une réponse à l'interview que Mr Schiaretti directeur du TNP a accordée au bimestriel « Exit Mag » où il expose ses vues sur le théâtre.)

Etre directeur d'un grand théâtre comme le TNP n'est sans doute pas une sinécure. Diriger de plus une troupe et faire la mise en scène de plusieurs spectacles chaque année comme vous le faites mérite évidemment un certain respect.

Toutefois je tiens à vous dire qu'à titre personnel je suis en total désaccord avec votre façon de programmer le TNP.

Vous déclarez dans cette interview : « Dès qu'on revendique un passé aujourd'hui, on est systématiquement suspecté de nostalgie ».

J'ai bien sûr envie de vous répondre tout simplement que la nostalgie n'est de toute façon pas un crime.

Plus loin vous insistez : « C'est crétin de penser que le rapport au passé ne peut-être que le fruit de la nostalgie »

Le soupçon en l'occurrence, s'il faut parler en ces termes, n'est pas de nostalgie mais plutôt de fétichisme. Et ce serait plus une accusation franche et directe qu'un vague soupçon.

Le fétichisme est un amour inconsidéré et irrationnel pour des objets représentant des êtres à qui l'on confère une autorité supérieure à la sienne propre.

Le fétichiste n'est plus maître de lui-même mais il est un esclave.

Les maîtres des directeurs de grands théâtres subventionnés sont faciles à trouver. Ils sont les auteurs morts qui ont reçu la sanctification de la postérité.

De leur vivant, ces auteurs de chair et de sang étaient loin d'être ainsi reconnus. Ils étaient soumis à la polémique. Molière n'était pas l'auteur le plus joué et quant au théâtre de Victor Hugo...

Mais ces auteurs avaient une qualité toute bête : ils écrivaient des œuvres de leur temps pour des spectateurs de leur temps. Ils étaient des auteurs vivants.

Qu'on respecte encore ces auteurs aujourd'hui et même qu'on les joue un peu n'a bien sûr rien de répréhensible à condition que ce soit véritablement de la nostalgie et non pas du fétichisme. Il s'agit de les faire revivre un peu et non de les momifier de façon ridicule.

La façon aujourd'hui dont les grands théâtres subventionnés se replient sur le patrimoine est à la limite du crime contre l'humanité.

Elle donne l'impression que le théâtre n'existe plus et qu'il n'y a plus d'auteurs.

Le public conservateur va voir ces vieilles pièces en croyant que c'est ça « le théâtre » et vous les confortez sans cesse dans cette illusion mensongère et irrationnelle.

Vous leur dites que c'est « très actuel » bla bla...mais non ce n'est pas actuel ! Ce n'est pas actuel !

Si j'étais auteur je n'écrirais pas pour le théâtre. En tout cas pas pour les grands théâtres subventionnés. J'écrirais pour les petits. Au moins aurais-je une chance d'être joué.

D'ailleurs je crois bien que les auteurs ont toujours fait ainsi sauf qu'aujourd'hui l'accès aux grands théâtres subventionnés est obstrué par la couche sédimentaire formée de tous les « classiques » qu'il convient de jouer à quatre-vingt-dix pour cent de la programmation.

Et le louable dispositif des « scènes découvertes » n'y change rien.

Le metteur en scène règne en maître parce qu'il n'y a plus que cela à faire : « la mise en scène ». Ils deviennent à moitié fous en cherchant la façon « actuelle » de jouer des pièces d'un autre temps.

Des espèces de chineurs arpentent le patrimoine pour trouver les pièces oubliées des grands auteurs quand bien même elles auraient été oubliées pour de justes raisons : « Jouons-les quand même, les grands noms à l'affiche remplissent les salles ! »

Mr Schiaretti vous devez aller trouver vos confrères directeurs de grands théâtres subventionnés et faire une confession collective.

Vous devez vous refuser à n'être plus que des gardiens de musées vivants.

Lorsque vous vous serez purifiés de vos péchés contre le théâtre vous irez trouver les responsables culturels et vous les convaincrez qu'une nouvelle politique de programmation est vitale pour vos théâtres et qu'il faut d'ores et déjà programmer au moins cinquante pour cent d'auteurs vivants.

S'ils vous répondent : « Mais les grands noms remplissent les salles ! » traitez-les de tartuffes et donnez-leur la bastonnade.

S'il vous plait Mr Schiaretti faites la révolution dans le domaine théâtral. Redonnez vie et enthousiasme au théâtre. Conviez les auteurs à écrire en quantité pour vos théâtres et peut-être que le public vivant vous reviendra.

Et alors seulement vous pourrez être sincèrement nostalgique de tous ces merveilleux auteurs du passé.

Et viva la commedia !