Hors Satan - Pureté sacrée
Du silence, du spirituel et de la violence, Bruno Dumont nous avait accoutumés au sein de ses précédents films l'Humanité, Flandres ou Hadewijch. Pourtant, jamais il ne nous avait dévoilé une mise en scène aussi soignée, construite et radicale qu'avec Hors Satan, un chef d'oeuvre d'épure.
Dans les prés luxuriants de la Manche, un vagabond joué par David Dewaele possède un pouvoir magique incertain. Est-il là pour faire le bien ou le mal ? D'où vient-il ? Le mystère s'épaissit autour de rituels d'exorcisme, de baptêmes, de marche sur l'eau, de grands brasiers et de sacrifices quasi primitifs. Il est accompagné dans sa mission par Alexandra Lematre, une jeune gothique vêtue de noir née au mauvais endroit et dans la mauvaise famille, figure vierge de malveillance qu'il s'interdit absolument de toucher. Référence à la Marie biblique ? Dans Hors Satan, Dieu semble pourtant assez peu présent.
Les citations artistiques habituelles dans le cinéma de Dumont sont cachées derrière la nature divine et tortueuse de la Côte d'Opale mais aussi derrière le sujet fantastique. On passe du plan dans l'Humanité citant l'Origine du monde de Gustave Courbet à une vision romantique de la nature. Bruno Dumont s'inspire des paysages naturalistes de Corot et de la nature mythologique de Poussin. Le sujet religieux rend aussi hommage à la peinture. Ainsi, pas de citation directe faisant écran à l'interprétation du film mais toutefois un sujet profondément inscrit dans l'histoire des arts. Le cinéma de Bruno Dumont lutte contre la sécularisation du spirituel dans notre société. Entre la mystique d'un Tarkovski et d'un Jean-Luc Godard, il sacralise à nouveau le cinéma. Hors Satan fait de suite penser aux livres de Bernanos, à la Mouchette possédée de Sous le Soleil de Satan dans l'adaptation de Pialat ainsi qu'au Journal d'un curé de campagne de Bresson.
Bien que l'auteur ne nous ai jamais habitués à beaucoup de dialogues, la progression du film est ici purement visuelle et perceptive. Des plans en contre-plongée magnifient l'état de grâce atteint par les acteurs. La lumière dépend du temps naturel, du nombre de nuages dans le ciel. Passé pour la première fois sur le banc de montage, Dumont maîtrise davantage son film. Il laisse de côté les plans séquences et organise un découpage ciselé avec marques au sol. Lors du tournage, le cinéaste élague les dialogues. Un regard suffit. Dumont préfère l'implicite à la parole superflue. A la fin, il ne reste plus qu'un « t'as pas une clope ?» ou un « j'vais y aller ». Les personnages n'ont plus d'identité : Le Gars, la Fille, la Mère sont les noms apparaissant au générique de fin. A la manière de Pialat et Bresson, le cinéaste traite ses acteurs non professionnels comme des modèles. Ils ne jouent pas mais s'appliquent à être eux-mêmes. A propos de David Dewaele, Dumont raconte la cohérence entre l'homme et le personnage : « Il est ambivalent. Il contient une très grande amplitude de contraires, de virilité et de sensibilité. ». Toutefois, les indications données à l'acteur peuvent transcender cette quête du naturel : quand David Dewaele manipule son fusil, il a la contrainte de devoir tendre les doigts comme dans les tableaux de Raphaël. Entre naturel et artifice, le film assez stylisé au final nous impose une nouvelle perception du temps et de l'espace. La lenteur de la mise en scène nous imprègne dans cette atmosphère latente où réalisme et fantastique font bon mélange.
Avec un film policier, un film de guerre et désormais un film fantastique, Dumont renouvelle et déforme les genres. Dans L'Humanité, le policier Pharaon enquêtait sur l'origine de la violence. Flandres questionnait le dérèglement de l'humain en période de guerre. Hadewijch traitait des dérives du mysticisme. Hors Satan propose quant à lui de conquérir les mystères... Dumont part avec ce film exempté du moindre effet à la quête du mal résidant dans l'humanité et ouvre le cinéma sur une recherche spirituelle de la Vérité. Toutefois pas d'interprétation prédominante, son oeuvre est questionnement et non réponse et c'est au spectateur d'accomplir le chemin jusqu'à ses films.
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