« Appelez-moi Super !» : la vie (trop) normale des super-héros.

Publié Mercredi 8 février 2012

Alors que nos écrans n'en finissent plus d'être envahis par les super-héros que ce soit au cinéma (X-Men, Avengers, Spiderman...) ou à la télé (Heroes, No Ordinary Family...) s'annonce la curiosité Chronicle de Josh Trank, où des ados se découvrent des super-pouvoirs dont ils se servent pour s'amuser avant que tout ne vire au drame. Soit l'exacte opposé d'un type de super-héros qui, eux, s'ancrent davantage dans réalité, pour ne pas dire la normalité : les super-héros sans pouvoir.

Passons, sur Batman et Iron Man, deux milliardaires que leur moyens techniques, financiers et leur matériel de guerre rejettent hors de cette catégorie - Iron Man a une centrale nucléaire en guise de cœur et peut voler grâce à son armure et, chez Tim Burton du moins, Batman avait en lui une part animale qui lui valait de dormir la tête en bas comme une chauve-souris.

Non, ceux auxquels on pense sont des hommes normaux, peut-êtreau sens François Hollande du terme, des M. Tout-le-monde ou presque qui finissent par embrasser volontairement la profession de super-héros, comme on enfile, et c'est le cas, un costume parfois trop grand : les « real life superheroes », comme on les appelle aux Etats-Unis.

The Cape

Depuis cet automne, la chaîne câblée Syfy diffuse la série américaine The Cape, dans laquelle un ancien flic, Vince Faraday, présumé mort et coupable de crimes (il est en fait victime d'une machination perpétrée par un faux super vilain, The Chess) devient un super-héros par la grâce d'une cape en soie d'araignée trouvée dans un cirque, genre super lycra qui lui permet de choper des objets à distance et d'estourbir les malfaisants - à supposer qu'on puisse assommer quelqu'un avec du tissu, mais la série part du principe que oui. Manière de dire que l'habit fait le moine même s'il n'empêche pas d'encaisser les coups. Mais aussi d'opérer une mise en abîme : en réalité - celle-ci étant bien faite - Faraday est inspiré dans son action par le héros d'une BD que lit son fils, et qui lui-même se surnomme The Cape et porte une... cape magique.

Mais rendre la justice - ou la vengeance, car c'est avant tout ce qui anime Faraday - n'est pas facile quand on n'a pas de super-pouvoir. Comme le lui rappelle Max Malini, propriétaire du cirque qui le recueille et roi de l'évasion, après une dérouillée qui lui a coûté quelques côtes : « T'es pas un super-héros, t'es un numéro de cirque. Le corps humain n'est pas adapté à ce que tu fais. C'est la vraie vie, le danger est réel, les douleurs sont réelles ».

Kick-Ass vs Super

C'est cette réalité, douloureuse, qui est incarnée, plus ou moins frontalement, dans les films Kick-Ass de Matthew Vaughn (1) et Super de James Gunn (2). Dans le premier, un ado loser, Peter Parker du pauvre, tente de devenir un super-héros pour devenir populaire avant de s'apercevoir - un couteau dans le bide - que les choses sont un peu plus compliquées qu'enfiler un pyjama vert. Notamment quand il rencontre Big Daddy (Nicolas Cage), là encore un ancien flic déchu, et sa fille, Hit-Girl (Chloë Moretz), qui eux ne sont pas là pour rigoler et vouent leur vie à zigouiller les truands sans autre forme de procès.

Dans Super, Frank (Rainn Wilson), un type lui aussi un peu loser tente de récupérer sa femme trop belle pour lui, tombée amoureuse d'un trafiquant de drogues. A la suite d'une révélation qu'il croît divine et le visionnage d'une pub évangéliste mettant en scène un faux super-héros vraiment prosélyte, le Vengeur Sacré, Frank tourne casaque et devient The Crimson Bolt (le Feu de la Vengeance en Français).

Les deux personnages sont donc avant tout animés d'une motivation égoïste : ils n'ont aucune intention de sauver le monde, ils cherchent surtout à se sauver eux-mêmes, mais se trouvent rapidement dépassés par les limites du rôle que leur fait endosser leurs costumes - dans Super, Frank faisant la queue au cinéma, court enfiler son costume pour passer à tabac un type qui tente de resquiller. Ce faisant, ils finissent quand même, entraînés par les événements, par mettre « les méchants » hors d'état de nuire.

Débutés sur le ton bon enfant de la comédie et de la bande-dessinée, les deux films se terminent dans un bain de sang d'autant plus frappant qu'il est inattendu - et presque sans conséquence, tellement esthétisée (surtout dans Kick-Ass) qu'elle laisse le spectateur dans l'incapacité de prendre la distance qu'il prendrait face à un Batman ou un Spiderman. Comme si s'opérait alors un trouble de la réalité, dont on ne cesse de nous répéter qu'on est en plein-dedans. Et en effet, puisqu'en fait dans les films de super-héros, on tue beaucoup moins et parfois pas. On livre à la police.

« Carreau brisé»

Les deux véhiculent d'ailleurs, une morale pour le moins ambiguë quant au concept d'auto-défense et de violence latente de la société - incarnée dans Kick-Ass par le personnage de Hit-Girl, et dans Super par Boltie (Elle Page), une ado survitaminée que sa volonté d'en découdre conduit à finir le crâne en carpaccio. Dans la plupart des films de « real-life superheroes », il est question à un moment ou un autre de vengeance et de loi du talion. Une morale qui en revient à la mode, particulièrement violente elle-aussi, et très critiquée à l'époque, des films de « vigilante », symbolisée par toute une partie de la filmographie de Charles Bronson et qui a disparue à peu près à l'époque où les centres-villes américains ont été « nettoyés » par les autorités - l'incarnation de ce fait majeur étant l'ex-maire de New-York Rudolph Giuliani et sa politique cache-misère du « carreau brisé ». Mais là encore, les temps ont changé :

Car la particularité de la série The Cape est qu'elle prend place dans une ville fictive où le chef d'une police privée joue les pompiers-pyromanes, ou plutôt les policiers-voyous, organisant le crime pour voir remettre les clés du maintien de l'ordre à sa société de milice privée The Ark - un écho substantiel aux armées privées type Academi (ex-Blackwater) qui opèrent souvent en lieu et place ou en soutien de l'armée américaine. Et c'est Faraday, lui même ex-flic et incorruptible qui va tenter de rétablir les choses - tout en étant lui-même animé, répétons-le, d'une motivation égoïste, retrouver sa femme et son fils, et se venger.

Defendor

C'est aussi un pouvoir corrompu - les barons de la drogue, les flics ripoux, les proxénètes - que combat sous les traits de Woody Harrelson, Defendor, dans le film, passé inaperçu, de Peter Stebbings. Defendor, alias Arthur Poppington est un gentil attardé au QI à deux chiffres qui jette des billes (ou des abeilles) à la face des truands avant de les rosser avec un gourdin de la première guerre mondiale. Pour finir la plupart du temps en sang dans le caniveau.

Mais sous les traits de ce demeuré qui ne voit la vie qu'au premier degré, on peut simplement lire l'incarnation d'un citoyen que seule une conception littérale de la justice, du bien et du mal animeraient. Un homme totalement imperméable aux contraintes plus ou moins objectives du corps social qui oblige parfois à se satisfaire de compromis, à fermer les yeux sur une corruption « nécessaire » ou la porosité de valeurs opposées. Pour Defendor, c'est blanc ou noir, sans nuance.

Comme il le dit lui-même : « Un homme qui viole la loi c'est une crapule, quand il viole la loi et qu'il a un badge c'est une crapule avec un badge ». Il ne se soumet à aucune loi, car dans son esprit simpliste, il est la loi, le bon contre les méchants, mais selon la conception qu'on en a lorsqu'on est enfant. Son héroïsme, comme le lui dit sa psy réside dans son honnêteté, son intégrité quasi maladive qui le conduit à ne jamais renoncer tant qu'il n'aura pas atteint son but venger symboliquement sa mère, prostituée-toxicomane morte quand il était enfant. Et ce, doublement, en démantelant un réseau de prostitution et de drogue et en permettant la rédemption de Kat... une prostituée-toxicomane qu'il protège autant qu'elle le materne.

Superheroes

Là où ce film - et les autres, dans une moindre mesure - prend une toute autre résonance c'est lorsqu'on le met en perspective avec un documentaire signé Michael Barnett et produit par HBO l'an dernier : Superheroes. Si Defendor, The Cape, Kick-Ass ou le Crimson Bolt de Super sont des héros de fiction, les personnages qu'il nous donne à voir sont vrais. Ils sont, pour de vrai, des « real-life superheroes » qui se baladent dans les rues des villes américaines pour rendre la justice. Ils sont des dizaines, voire des centaines, travaillent en solo ou en bande, ou plutôt en Ligues de Justice - et font des émules un peu partout dans le monde.

Il y a là Mr Xtreme, un type ventripotent de San Diego, qui vit dans un taudis où il s'entraîne face à un mannequin en mousse dénué de bras avant de se faire proprement démonter lors d'un tournoi amateur de jiu-jitsu. Son rêve : attraper un violeur surnommé The Groper. Ou encore The New York Initiative, un quatuor de NY aux looks très punky, qui escaladent les murs où patrouillent les rues en skateboard sous l'autorité de Zimmer, le monte-en-l'air de la bande. Ces derniers tentent bien de tendre des pièges aux truands, aux homophobes - scène géniale où Zimmer se balade habillé en « folle » pour attirer les homophobes et les punir, pour finir par soigner un vieillard qui vient de se faire rouler sur le pied par un chauffard.

Et puis il y a Master Legend, harnaché comme une cocotte minute qui passe le plus clair de son temps à narrer des exploits qu'on suppose imaginaires et à boire des bières. Ou encore The Black Monday Society de Portland au look de démons ou de groupe de black-metal, et Thanatos, 62 ans et son costume de squelette tout pourrave.

« Super appelle les flics »

Ces types, tous autant qu'ils sont, aux goûts vestimentaires douteux, croient dur comme fer en l'idée du bien et mettent autant de conviction dans le fait d'aider une mère à porter une poussette qu'à combattre le crime, même si celui-ci ne se présente jamais, ou au mieux se muer le plus souvent, pour reprendre un sketch des Nuls en « Super appelle les flics »... Ce qui vaut peut-être mieux. Ainsi ce témoignage de Stan Lee, le père de nombre de comics super-héroïque qui tout en louant ces initiatives craint pour la vie de ceux qui les prennent - une scène avec le New-Yorkais Dark Guardian et un dealer laisse à penser qu'un jour, cela peut mal se terminer -, se sentant presque coupable de les y avoir incités.

Tous quasiment sans exception ont vécu, comme le super-héros de fiction des vies difficiles, humiliantes, ont été eux-mêmes des délinquants, et trouvent là une manière de catharsis. Se prenant très au sérieux, sans crainte du ridicule, sans peur même, mais avec une foi inextinguible en ce qu'il font, qui les rend comme Defendor, aussi pathétiques qu'émouvants. Tous font aussi référence à Kitty Genovese, une femme poignardée à mort dans le Queens à New-York en 1964, sous les yeux d'un voisinage impassible, dont le cas, devenu mythique - et parfois romancé - a été à l'origine d'une étude qui a abouti à la théorie de « l'effet du témoin » ou « syndrome Genovese », qui voudrait que plus il y a de témoins d'une situation d'urgence moins il y a de chance que quelqu'un intervienne.

Au finale, tous ces gens ordinaires qui se rêvent extraordinaires finissent, plus que de se substituer à la police, sur le mode des milices dont sont plutôt friands les Américains, par se muer en travailleurs sociaux masqués. Le plus souvent ils distribuent de la nourriture aux SDF, des jouets aux enfants, font de la prévention de toute sorte, colle des affiches « Non à la violence », rassurent par leur simple présence.

Ils sont une sorte de palliatif à un service public insuffisant, une armée de doux-dingues bienveillants, une sorte de milice sociale qui rendrait justement une forme de justice sociale pour « contribuer à la communauté » comme s'en réjouit le maire de Chula Vista, le terrain de jeu de Mister Xtreme. Mais avec un costume de carnaval. Comme le souligne Mister Xtreme non sans grandiloquence : « ce ne sont pas les super-pouvoirs qui font le super héros mais ses actes. Ce n'est pas le costume, c'est ce qu'il y a dans votre cœur. ».

Misère sociale

Car en filigrane, ce que montre Superheroes, c'est bien la misère sociale qui sévit dans cette Amérique suburbaine, dont ont eux-mêmes été victimes ces super-héros en toc. Cette misère qui a été pour eux l'équivalent d'une piqûre d'araignée ou d'une exposition aux rayons gamma, et qui est le vrai mal. Celui que davantage, que le crime, ils entendent combattre, accoutrés comme les héros des comic books de leur enfance qui eux n'existent pas.

Au fond, qu'ils soient fictifs - tout en rappelant que réalité mord - ou réels, ces « real life superheroes » entrent paradoxalement en collision avec les super-héros de comics que l'on connaît et qu'ils admirent. Quand ces derniers sont ou ont été les porte-paroles de la grandeur et de la supériorité de l'Amérique - jusqu'à la propagande parfois, dans le cas de Superman ou de Captain America - les «real life superheroes », eux sont les témoins innombrables, impuissants mais volontaires, de la déliquescence et des victimes de cette grandeur, voués à contredire « l'effet de témoin » par l'implication du plus grand nombre et l'exemple. Une réponse possible à la fameuse devise de Spiderman « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », invalidée par les super-ados de Chronicle, et qui supposerait, comme s'en aperçoit d'ailleurs Kick-Ass, qu'en réalité, il se pourrait bien que ce soit tout à fait l'inverse. Que sans responsabilité, le pouvoir est dangereux. Entre Anonymous, Indignés et Occupy Wall Street, les « real life superheroes » sont dans la rue et ce n'est sûrement pas un hasard. En se réappropriant la responsabilité, ils reprennent un peu de pouvoir.

1)A qui l'on doit également X-Men : First Class sur l'origine des célèbres héros mutants.

2)Emule de chez Troma, usine à séries Z, et co-réalisateur officieux du culte Troméo et Juliet, et également scénariste du Dawn of the Dead de Zach Snyder.