Premier jour : À moi seule de Frédéric Videau. Radiostars de Romain Lévy

Nonobstant un mistral plutôt décoiffant, il fait beau à Avignon. Un air de printemps qui coïncide avec la deuxième édition des Rencontres cinématographiques du sud, que l'on présentera, un peu rapidement, comme un panorama généraliste des films à sortir avant et après Cannes. Il y a de tout, du blockbuster made in Europacorp et du premier film d'auteur français, de la comédie américaine et du cinéma qui dérange... En attendant l'arrivée en masse des professionnels (exploitants, distributeurs et cinéastes), les festivités ont déjà démarré pour la presse ce lundi.
L'humeur n'est pas à la fête pourtant avec À moi seule, troisième film signé Frédéric Videau, déjà présenté à Berlin il y a un mois. Manifestement inspiré de l'affaire Natasha Kampush, le film commence par la fin de ce fait-divers, c'est-à -dire l'évasion d'une jeune fille de la cave dans laquelle elle était séquestrée. De l'homme qui l'a kidnappée, on ne saura pas grand chose, ni concernant ses motivations, ni sur son passé. Même le but de cet enlèvement reste nébuleux : il lui a fixé des règles de vie strictes, mais se refuse à la brimer physiquement ; il se peut qu'il ressente de l'amour pour elle, mais lorsqu'elle lui propose une relation physique, il se dérobe. De toute façon, À moi seule s'intéresse autant à l'après qu'au pendant. C'est d'ailleurs une de ses grandes faiblesses...
Car le retour à la vie normale de Gaëlle, qui se traduit par des va-et-vient entre l'hôpital psychiatrique et la maison familiale, conduit à des tunnels de dialogues dénués de toute action, où Agathe Bonitzer montre une fois de plus les limites de son jeu. Trop vieille pour le rôle, maladroite quand il s'agit de faire ressentir l'enfant qui n'a pas grandi dans son corps d'adolescente, Bonitzer ramène quelque chose de ce cinéma d'auteur français des années 90, où la parole était un but en soi et les silences une manière peu agréable de meubler la narration. Les flashbacks sur l'enfermement sont d'autant plus déséquilibrés que Videau a choisi de la confronter à Reda Kateb. Monstre d'acteur révélé dans Un prophète et Qu'un seul tienne et les autres suivront, il apporte la tension et la nervosité latente dont le film est par ailleurs dénué.
En fin de compte, ce qui paraît le plus gênant dans À moi seule, c'est son manque d'envergure. La narration semble tourner à vide, la mise en scène ne s'autorise aucune audace et fuit tout spectacle. Inéluctablement, on repense à Michael, ce premier film autrichien présenté à Cannes l'an dernier, qui sur le même sujet avait au moins le mérite de bousculer les idées reçues, d'oser une forme d'humour très noir ou un suspense qu'on pouvait juger malsain, mais qui procurait des émotions autrement plus fortes.
Changement de registre avec Radiostars de Romain Levy. C'est une comédie sur une bande d'animateurs radio parisiens, vulgaires et méprisants qui doivent expier leur chute d'audience en allant faire une tournée d'été dans la France profonde. Si l'argument fait un peu penser au récent Good morning England (le film est raconté du point de vue d'un auteur novice incorporé à l'équipe juste avant son départ en province), c'est plutôt du côté de la comédie américaine des années 80 que Levy va puiser son inspiration. L'émission s'appelle le Breakfast club, la bande ressemble aux desperados d'American way et la musique de l'excellent Rob en rajoute une couche dans les synthés vintage. Qu'on ne s'y trompe pas cependant : Radiostars est tout sauf une charge contre la décennie frimeuse et arrogante que l'on vient de subir. Au contraire, le contact avec les vrais gens est aussi crédible que les discours actuels de l'autoproclamé «candidat du peuple» ; si trajet il y a, c'est toujours vers plus de réussite, plus de notoriété, plus d'argent. Et aussi, on va y revenir, vers plus d'amitié, qui n'a rien à voir avec la solidarité ou l'entraide.
Si quelques passages sont effectivement assez réussis (notamment celui où Jacky Ido campe un rappeur qui rêve d'abandonner ses apparats bling bling pour la simplicité d'un chanteur folk !), si les acteurs donnent beaucoup de leur personne (notamment Clovis Cornillac, bien meilleur que d'habitude), l'ensemble laisse une désagréable sensation de formule déjà éculée. Il faut dire que derrière Radiostars se cache une fois de plus le producteur Alain Attal, déjà responsable des Petits Mouchoirs et de Polisse. Le cinéma d'Attal, dans le fond bien plus auteur des films que les cinéastes eux-mêmes, repose sur une surexploitation à l'écran des scènes de conflit. En gros, à chaque séquence, les personnages doivent s'engueuler, pour finalement se réconcilier et retourner mariner dans leur petit stéréotype avant de remettre le couvert quelques minutes plus tard. Dans ce road movie, ce sont bien les clichés qui font du surplace, et le film exhibe sans finesse sa charpente scénaristique visiblement inspirée des théoriciens américains du genre (Robert MacKee en tête, mais il serait long d'expliquer en quoi sa «leçon» n'a manifestement pas été comprise).
Polisse, Les Petits mouchoirs et Radiostars ont aussi en commun ce goût pour le groupe d'individus où les différences (identitaires, communautaires ou sociales) sont solubles dans le grand bain réconciliateur de l'amitié. Mais attention ! Cette amitié se reconstitue toujours une fois désigné un bouc émissaire pour faire l'unanimité : dans Radiostars, la scène la plus choquante est celle de la boîte de nuit où, au milieu d'une bande de rugbymen avinés, une vendeuse stupide tient un discours bêtement antisémite sur les juifs qui contrôlent les médias. Le personnage est détestable, et bien montré comme tel, ce qui n'empêche pas le héros de coucher avec, comme si c'était la meilleure des punitions. De la connerie à la veulerie, il n'y a qu'un pas, et ce sont surtout les femmes qui en font les frais : on reste entre mecs car on se comprend, on s'épaule et même si on n'est pas d'accord, on finira toujours par se serrer les coudes. C'est assez détestable et cela traduit un goût du restons entre soi qui est l'inverse de la générosité.
Christophe Chabert