Jour 2.

Pas vraiment de grande révélation pour l'instant dans ces Rencontres cinématographiques du Sud à Avignon, mais une réjouissante façon de valider ses propres idées reçues sur ce que l'on peut attendre d'un film au vu de son genre, son réalisateur, son casting ou les trois.
Un bel exemple : Lock out signé par deux gars nommés James Mather et Stephen Saint Leger (en fait, l'un des deux est visiblement surtout chef opérateur), mais co-scénarisé par l'inénarrable Luc Besson. Pur produit Digital Factory, il démontre que : 1) Luc Besson n'avait pas entièrement pillé John Carpenter avec Banlieue 13, puisqu'après avoir soigneusement décalqué New York 1997, le voilà qui reproduit Los Angeles 2013, transformant Snake en Snow, la prison-ville en prison spatiale, et la mission... Ah ben non, la mission est la même, à savoir sauver la fille du Président des Etats-Unis en un temps limité et en semant le chaos à 1 contre 500. 2) Que ses scénarios s'encombrent assez peu de cohérence, et bien malin qui arrivera à suivre les péripéties improbables de ce space opéra bourrin et grandiloquent, tourné avec une équipe serbe car la Hongrie et la Roumanie, c'est devenu trop cher question main-d'œuvre ; 3) Que Guy Pearce a manifestement l'envie irrépressible de flinguer sa carrière, prometteuse au départ, en acceptant d'aller jouer les yakayos badass (une réplique = une vanne) dans ce sous-produit qui rappelle, grosso merdo, les séries Z italiennes des années 70. Quoi de plus ? Rien.
Autre exemple : la comédie avec Franck Dubosc. Plan de table donc, où Dubosc n'a qu'un second rôle, mais qui confirme la règle selon laquelle dès qu'il apparaît dans un film, celui-ci s'avère impitoyablement mauvais. Le concept du «ou bien, ou bien» a déjà beaucoup servi (chez Resnais ou Ramis, certes, mais aussi chez beaucoup de leurs imitateurs dont on ne se souvient même plus des noms). Il est ici croisé avec la comédie de mariage, sous-genre pas franchement glorieux. Toutes les trente minutes, l'action se rembobine, le plan de table est modifié, les destins aussi, et tournez manège. Une chose ne change pas : les stéréotypes des personnages - seules leurs humeurs et leurs alliances varient. Autre élément immuable : l'hypocrisie qui consiste à clamer que le confort bourgeois est asphyxiant, qu'avoir une belle maison, ça ne fait pas tout, qu'il vaut mieux être un artiste raté que faire des compromis, et patati et patata... alors que le film se replie sans arrêt sur le couple, la famille, le succès, l'argent. Critiquons d'un côté ce que l'on se plaît à filmer de l'autre... Quant au casting, hormis Dubosc qu'on ne peut plus souffrir, tout le monde joue «comédie», cabotinage outrancier et contre-productif dont se sortent, au forceps, Arié Elmaleh et Audrey Lamy (les deux seuls personnages vraiment attachants, il faut dire, de l'ensemble).
Dernier cas, nettement plus intéressant, mais qui répond là aussi à un programme attendu, celui de Tyrannosaur de Paddy Considine. Considine rejoint la cohorte des acteurs anglais qui passent à la réalisation, après Peter Mullan (qui joue le premier rôle ici), Gary Oldman, Tim Roth... Tous ont quelque chose en commun : celui de plonger au plus profond de la noirceur, comme une version cauchemardesque du réalisme social à la Ken Loach ; à cette différence près qu'eux ne transigent pas avec une certaine stylisation dans la mise en scène. Cadres au cordeau, lumière parfaite, splendide travail sur les ambiances sonores, jeu remarquable entre des gros plans presque abstraits et des plans larges qui perdent les personnages dans des décors désolés... Considine s'affirme d'emblée comme un authentique cinéaste, et si son film a quelques faiblesses, c'est plus par volonté de trop en faire que par dilettantisme - libre à chacun de faire la comparaison avec les comédiens français qui s'improvisent réalisateurs...
Tyrannosaur plonge donc dans la misère sociale anglaise avec une violence qui rappelle celle de Gaspar Noé dans Seul contre tous. Son héros est un bloc de haine, de culpabilité et de ressentiment, qui tue son chien (pourtant son seul compagnon) par excès de fureur suite à une engueulade avec son bookmaker, qui provoque de simples employés pakistanais avant de défoncer leur vitrine... Un personnage infréquentable, et qui ne fait rien pour arranger les choses ; quand il reçoit la sollicitude d'une femme pieuse qui refuse de le juger, il la renvoie dans les cordes de sa bondieuserie. La force du film, c'est de lui offrir un récit de rédemption qui emprunte des chemins particulièrement tortueux, si bien que l'empathie ne surgit jamais au moment où l'on s'y attend. On peut reprocher à Considine un certain excès de glauquerie, sinon une certaine complaisance. Mais son goût du risque, sa manifeste envie de ne pas être aimable, donne aussi son prix à ce Tyrannosaur.
Christophe Chabert