1995 trace sa route

Publié Jeudi 15 mars 2012

Moins d'un an après leur excellent premier EP La Source, le crew parisien remet le couvert pour une deuxième livraison, toujours aussi rafraîchissante mais plus réfléchie.

1995, c'est tout simplement l'étoile montante du rap français. Biberonnés à NTM, La Cliqua ou le Wu-Tang Clan, les six boys ont généré un buzz énorme sur Internet, explosant les compteurs Youtube en 2011. Auréolés de cette reconnaissance, ils sortent dans la foulée un premier EP auto-produit de huit titres, La Source, qui se classe devant le nouveau Lady Gaga au nombre de ventes Fnac. La fraîcheur de leurs textes et la qualité de leurs prods rappelle l'âge d'or du rap français du début 90, avant l'ère gangsta et ultra-commerciale qui a marqué les années 2000. Le crew déploie une énergie et une insolence que beaucoup pensaient perdues dans les méandres de la scène underground, et décomplexent un peu plus un rap français qui retrouve un deuxième souffle.

Attendu au tournant après le succès de La Source, 1995 présente donc moins d'un an après leur deuxième EP, logiquement intitulé La Suite, et toujours auto-produit malgré les sirènes des majors. Les premières mesures de Bienvenue surprennent quelque peu, avec une ambiance éthérée, presque lounge, qui met l'auditeur dans un confort permettant aux cinq MC de nous accueillir dans leur univers ultra-référencé (« La 95e chambre » qui renvoie au 36 Chambers du Wu-Tang). Un pur morceau d'introduction, qui donne l'impression que les gars ont besoin de se présenter à nouveau, calmement, tellement tout s'est passé vite pour eux. Le décor posé, on replonge dans un pur style 1995 avec le titre éponyme La Suite : une prod jazzy concoctée par DJ Lo', véritable dépositaire de l'identité sonore du crew, et des punchlines sans détour : « Fini d'blaguer on passe à la suite/Les années filent mais mon équipe reste à l'affiche/On s'écarte pas des bases demande à ta clique/On prend l'rap à la source sans être fataliste ». Comprenez que les six ne sont pas là par hasard, et qu'ils comptent bien y rester.

Si l'EP reprend les mêmes formules avec une efficacité intacte (Renégats, avec son flow agressif façon Beastie Boys, et qui rappelle énormément Milliardaire sur La Source ; Temps perdu), 1995 semble aussi avoir pris du recul sur son incroyable aventure. Les textes sont globalement plus posés, plus réfléchis, plus matures. Comme Un Grand jette un oeil lucide mais ambitieux sur le parcours parcouru (« Personne ne nous a mis l'pied a l'étrier/Au début ça riait et comme des grands on les a fait plier »), alors que Taille de Guêpe se risque, avec succès, à aborder des sujets plus délicats (complexes physiques des ados, anorexie) et rappelle l'esprit de certaines tracks du Supreme NTM. Mais l'évolution du crew se fait aussi à travers des prods plus diversifiées, comme sur Bouffons du Roi, qui fleure bon la série B d'horreur, à grands renforts de bidouillages électro flippants et de lexique de zombie, qui compare le rap game à Resident Evil. Mention spéciale aussi à Comment Dire, qui clôt le skeud, et montre une facette plus mélancolique du crew. A travers la prod, tout d'abord, avec son beat presque feutré et son étonnant solo de saxophone à la fin. Puis par un flow très posé, très critique, qui réveille le spectre d'un Laisse Pas Traîner Ton Fils.

Au final, La Suite se pose comme une vraie réussite avec ses textes ciselés et ses prods rutilantes, qui parviennent à convoquer en huit titres l'esprit que le crew porte dans son nom. Ceux qui n'avaient pas accroché à La Source peuvent passer leur chemin, les puristes hardcore aussi, mais on sent quand même que les gars ont pris du recul, et réussissent à éviter l'écueil de la facilité. Car même s'ils reprennent majoritairement les éléments qui ont fait le succès de leur premier EP, ils y ajoutent, par petites touches, des apports qui viennent étoffer leur son et leur permettent d'évoluer dans la bonne direction. Si 1995 confirme aujourd'hui les espoirs placés en eux, le plus dur reste encore à venir pour les six, avec un premier LP qui sera très attendu.

Nicolas Gil