Du cinéma à (en ?) Avignon ! (3)

Publié Vendredi 16 mars 2012

Jour 3. Nouveau départ de Cameron Crowe. Le Fils de l'autre de Lorraine Lévy.

L'arrivée massive des professionnels a provoqué un sacré foutoir dans les salles, avec des films commençant avec une bonne heure de retard, quand ils ne sont pas précédés des traditionnels «line ups» (les bandes-annonces des films à venir) des distributeurs. On a vu ainsi quinze minutes de la version 3D de Titanic (sans les lunettes, car on est arrivé en retard). Eh bien, c'était épatant. OK, vous vous dites, ça y est, il a fondu une durite, il regarde les films en 3D sans les lunettes, il trouve ça génial, quel snob, on se croirait dans la chanson de Boris Vian... Du calme !

Car il est impossible de comprendre pourquoi James Cameron est le maître de la 3D actuelle si on ne regarde pas, du moins pendant quelques minutes, cette version en 2D. Cameron travaille l'effet 3D comme les grands cinéastes utilisent les focales, jouant sur la mise au point pour bâtir une perspective dans l'espace et, en fin de compte, intensifier le point de vue de sa mise en scène. La version 3D de Titanic a été pensée ainsi : Cameron choisit de porter son point net (c'est-à-dire en 2D) sur un personnage, un détail du décor, et construit autour l'effet de relief. Les lunettes chaussées, cela ne crée pas seulement une nouvelle profondeur à l'image, mais aussi une focalisation du regard sur un point précis, quitte à ce que celui-ci change en cours de route (dans les séquences présentées, Cameron ne se prive pas pour le faire). Ce n'est donc pas un supplément de spectacle que propose cette remasterisation de Titanic - l'original le faisait déjà très bien, rêve de néo-classicisme à la David Lean toujours aussi subjuguant quinze ans après sa sortie - mais aussi un supplément d'âme et de pensée par l'image. On sera au rendez-vous le 4 avril !

Juste après cette présentation, on a pu voir le meilleur film du festival (jusqu'ici), à savoir Nouveau départ de Cameron Crowe. Le titre français, décidé in extremis, remplace donc l'original We bought a zoo («On a acheté un zoo», donc) qui avait le mérite de la clarté et pas de l'exégèse - et depuis quand au marketing on fait dans l'exégèse ? Cameron Crowe, qu'on sait fan de Billy Wilder, s'offre ici une fable à la Capra qui, sans atteindre les hauteurs de Presque célèbre, n'en reste pas moins une excellente surprise. Matt Damon y est Benjamin Mee (qui a véritablement existé), reporter casse-cou  qui se retrouve seul à élever ses enfants après la mort de sa femme. Pour leur offrir un «nouveau départ» (exégèse), il décide «d'acheter un zoo» (littéralité, on suit au marketing ?) mais doit vite faire face à des difficultés en cascade : non seulement il reprend le terrain, les animaux mais aussi la petite équipe de ce zoo à l'abandon, devenant de facto père célibataire et patron inexpérimenté.

Comme le dit Mee dans le film, cette expérience est une manière de vivre «le pur rêve américain». Mais cet idéal est trompeur. Car malgré sa foi indéfectible et son enthousiasme, il lui manque une chose pour accomplir ce rêve : l'attention à l'humain et le sens d'une responsabilité qui n'est pas qu'économique. C'est la plus belle idée du film : Mee n'a pas réussi à sauver sa femme adorée, mais il doit sauver une communauté dans la panade pour obtenir la rédemption à ses yeux et aux yeux des siens. Avec l'élégance du storytelling à l'américaine et une absence de cynisme qui le rapproche du Spielberg de Cheval de guerre, Cameron Crowe fait de Nouveau départ un conte où la mort, la crise, l'échec sont sans cesse débordés par un optimisme salvateur. Cela débouche sur un torrent d'émotions que les esprits étroits appelleront des bons sentiments. Mais franchement, pour une scène aussi bouleversante que celle du café, on est prêt à se faire taxer de midinettes jusqu'à la fin de nos jours.

Le dernier film de la journée jouait aussi la carte de l'optimisme, qui plus est sur un sujet où celui-ci est rarement de rigueur : les rapports entre Israël et la Palestine. On se souvient du pénible Une bouteille à la mer, dont l'œcuménisme de surface ne cachait pas une évidente proximité avec un des deux camps. Le Fils de l'autre (un titre à la Pierre Tchernia, pas forcément génial) faisait aussi très peur quand on sait que sa réalisatrice n'est autre que Lorraine Lévy, sœur de Marc et auteur de La Première fois que j'ai eu vingt ans et Mes amis, mes amours. Sans parler de l'argument, reprise de celui de La Vie est un long fleuve tranquille en version conflit proche oriental. Malgré tout ça, le film n'est pas mal du tout, ce qui relève du miracle (laïc, bien sûr).

Un couple franco-israélien, elle médecin (Emmanuelle Devos), lui colonel de Tsahal (Pascal Elbé) découvre au cours d'analyses de routine que leur fils Joseph (Jules Sitruk, qui réussit la transition entre son statut d'enfant-star et ses premiers pas de comédien «adulte») a été échangé par mégarde le jour de l'accouchement avec un enfant palestinien, Yacine. Celui-ci, qui fait des études de médecine à Paris, revient dans son village de la bande de Gaza et apprend à son tour la vérité. Débute alors un vaste mic-mac identitaire qui slalome adroitement entre les clichés. Yacine, adolescent solaire et joyeux, s'adapte très vite à la situation, y voyant l'occasion idéale pour refuser la fatalité sociale, tandis que Joseph s'enfonce peu à peu dans le doute. Mais une amitié entre eux va naître, comme si leurs identités soudain brouillées leur permettaient de se comprendre mieux que quiconque dans leur entourage. D'ailleurs, Lorraine Lévy semble dire que l'identité est avant tout affaire de culture, et pas de sang, comme le prouve la jolie séquence où Joseph arrive à communiquer avec sa «nouvelle» famille grâce à une chanson en arabe. On craint un temps que la figure du Palestinien terroriste ne refasse surface via le vrai frère de Yacine. Mais Lévy préfère aller au bout de sa fable réconciliatrice, quitte à essuyer le reproche du manque de réalisme ou de crédibilité. Pour notre part, on s'en accommode...