Du cinéma à (en ?) Avignon ! (4)

Jour 4. Quand je serai petit de Jean-Paul Rouve. Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau.
Ces deuxièmes Rencontres cinématographiques du Sud touchent à leur fin. Bons échos autour de La Clinique de l'amour d'Arthus de Penguern, qu'un malheureux problème de DCP ne nous a pas permis de voir. On se rattrapera dans dix jours au Panorama du cinéma européen de Ciné-Meyzieu... dont on apprenait, hier soir lors de la grande soirée de gala au Palais des Papes en l'honneur de Jean Labé (Labé, vingt-cinq ans à la tête de la Fédération Nationale des Cinémas Français, sur le point de passer la main...), que son directeur venait d'être licencié avec pertes et fracas par la municipalité. Drôle de truc, ça. Devoir aller à Avignon pour apprendre des nouvelles qui concernent directement notre périmètre géographique...
Au cours de cette soirée aux relents chabroliens - Avignon n'a , à notre connaissance, jamais été filmé par le cinéaste, mais il est sûr qu'il y aurait trouvé son lot de notables folkloriques -, on voyait Robert Guédiguian et Jean-Pierre Darroussin plutôt goguenards (un hommage était rendu à Guédiguian au cours du festival) ; Darroussin qui s'est fendu à mon encontre d'une remarque amusante sur un essai de photo «artistique» (décadrée, quoi) que je tentais de prendre dans ledit Palais. «C'est audacieux...» me lança-t-il. C'est vrai que c'était plutôt raté.
Darroussin fait partie des rares acteurs français à n'avoir pas (encore ?) tenté l'aventure de la réalisation. On l'en remercie car, comme expliqué il y a deux jours, on note peu de réussites en la matière... C'était pourtant le cas de Jean-Paul Rouve avec son film sur Spaggiari, Sans arme, ni haine, ni violence, où il se livrait à un autoportrait en showman dépressif, comme si l'ancien-Robin des Bois souffrait de ne pas pouvoir livrer une part de vérité qu'on imaginait torturée. Son deuxième long, Quand je serai petit, pousse un cran plus loin cette étrange exploration de lui-même. Rouve y joue Matthias Esnard, quadragénaire, mari et père qui, lors d'une croisière vers Copenhague, remarque un enfant qui lui ressemble sur le quai. Il le suit jusque dans sa cabine, découvre qu'il s'appelle Matthias lui aussi et qu'il vit à Dunkerque. Il délaisse alors son job d'urbaniste pour se rapprocher de cet enfant, de sa famille et notamment de son père, passionné d'avions qui, là encore, ressemble à son propre père. Mais, c'est tout l'enjeu, celui-ci est mort d'un cancer fulgurant en 1982.
Rouve ne cherche jamais à justifier la part fantastique de son récit ; et à part l'agaçante musique d'Émilie Simon, le film garde constamment les pieds sur terre, refusant le merveilleux, la fable ou le conte. Cela aurait pu déboucher sur un naturalisme un peu plat ; mais là encore, Quand je serai petit étonne. Rouve laisse entrer la mélancolie par tous les pores du film : privilégiant les plans-séquences plutôt que le surdécoupage qui fait rage à l'heure actuelle dans le cinéma français, il enregistre la longueur des silences qui, peu à peu, rapprochent le fils de ce père surgi d'entre les morts. C'est Benoît Poelvoorde qui l'incarne, et il est une fois encore magistral (bon, il ne l'était pas dans le Anne Fontaine, mais c'est une erreur de parcours). Tout le casting (Miou-Miou, Claude Brasseur, Arly Jover et même Gilles Lellouche) est à l'unisson, y compris (surtout) l'enfant, à qui Rouve laisse une part de spontanéité, refusant d'en faire un singe savant. Les conversations entre les deux Matthias deviennent de beaux moments de vérité et de vie dans un film d'une grande tristesse, visiblement très personnel (une VHS puis un DVD de Série noire avec Patrick Dewaere, modèle avoué de Rouve acteur, en attestent), qui aurait juste pu se passer de cette inutile ébauche de vaudeville au dernier acte. On en reparlera, et on l'espère avec son auteur, lors de sa sortie le 20 juin.
Précédé d'une réputation flatteuse et d'une poignée de Félix, les Césars québécois, Monsieur Lazhar est un peu la version canadienne de Detachment, le pamphlet boursouflé de Tony Kaye. Ça commence par le suicide par pendaison d'une institutrice dans les murs de sa classe. À peine le fait-divers rendu public, un homme d'origine algérienne, Bachir Lazhar, se présente pour prendre sa place. Dans l'urgence, personne ne vérifie ses diplômes, et comme il arrive à faire oublier aux enfants le drame qui vient de se produire, il est engagé pour terminer l'année scolaire. C'est Fellag qui interprète Lazhar, personnage créé pour un monologue théâtral, que Philippe Falardeau (Congorama) a librement adapté pour l'écran. L'acteur promène son élégance désuète et son goût de la langue française comme un défi au rigorisme puritain de la société québécoise et aux méthodes d'éducation contemporaines (sinon à l'idiome québécois lui-même, mais on n'ira pas jusque-là ). Lazhar, comme Jugnot dans Les Choristes, incarne ce fantasme de l'éducation d'avant, et c'est bien parce qu'il s'agit d'un fantasme que le film agace. Confondant un peu vite pédagogie moderne et politiquement correct, Falardeau met sur le même niveau la disposition des tables dans la classe et l'impossibilité de toucher les enfants sans risquer de se prendre un procès sur la tronche. Certains épisodes de South Park sont autrement plus francs sur la question du principe de précaution appliqué à l'enfance, mais ils sont surtout plus drôles et plus courts (notamment Le Panda du harcèlement sexuel).
Le film charge aussi sans aucun scrupule les personnages secondaires, que ce soit une prof un peu hippie, la directrice au bord de la crise de nerfs ou certains parents d'élèves considérant le maître d'école comme un simple robinet à débiter du savoir. Même les enfants en prennent parfois plein les dents, et seul Lazhar, à qui on invente un passé traumatique et un puissant sentiment de culpabilité personnelle, a droit à de la nuance, de la compréhension, de la finesse... Cela rend d'autant plus antipathique la montée mélodramatique finale, comme si après avoir fini de déverser son aigreur, le cinéaste se livrait à une grande absolution démagogique. Il suffit de comparer Monsieur Lazhar avec Nouveau départ, dont on parlait hier, pour mesurer que l'émotion, la vraie, la sincère, ne peut s'appuyer sur une quelconque forme de cynisme ou de satire.
Ce matin, avant de partir, on s'est retrouvé devant la version 3D du Roi Lion. Le film sidère par son côté wagnérien, que Disney n'a plus retrouvé depuis, mais aussi parce que, lui aussi, repose sur un premier degré absolu. C'est sans doute pour cela qu'il a si peu vieilli (à part les chansons d'Elton John, mais bon, on ne va pas pinailler !).
Christophe Chabert