FAUST : l'expérience Sokourov

Publié Dimanche 24 juin 2012

Alors là disons le tout net, la première heure est une épreuve. On s'accroche, on s'accroche, en gentil cinéphile potache, surnageant tant bien que mal dans la beauté époustouflante des images, le jeu remarquable des acteurs, la magnificence de la mise en scène, on en passe et des meilleurs, on s'accroche pendant une heure. Là tout y passe : c'est ridicule, parfois, car Sokourov  est à l'image des  steppes de la Russie profonde et des romans dostoïevskiens, ouvertement  tourmenté, affectif, lourd et très bavard. Russe en bref. Et grand.

On est ici en temps de disette, et l'on suit un savant en pleine réflexion existentielle, éviscérant avec passion des cadavres, à la recherche du siège de l'âme. La voix off commente donc sa pérégrination philosophique, d'ailleurs intéressante et intemporelle, et ne nous épargne aucun détails de ses errements. L'ensemble est accompagné par une belle bo classique, mais hélas terriblement omniprésente, ambiance musique d'ascenseur, vous allez à quel étage. Tout cela doit être fort théorisé, on n'en doute pas. Un pacte avec le diable est passé et l'action démarre doucement autour du désir du savant pour une très belle jeune fille blond vénitien au visage opalescent.

Au cours de cette longue conquête, on va rencontrer des scènes magnifiques et... drôles : clin d'œil du réalisateur au vernis taupe, très « tendance » c'est vrai chez les « modeuses », superbe scène du lavoir  traitée à la Ingres, où au fond, les femmes s'affairent pour ne pas faire grand-chose... D'autres  fonctionnent mal comme la scène de la taverne, étonnamment sans vie, malgré l'agitation et la performance des acteurs. A trop être esthétique, parfois, on prend le risque d'être froid.

A part ça, l'œuvre est tant chargée en symbolisme et en réflexion, qu'une étude de vingt pages n'y suffirait pas. Il faut aller voir Sokourov et s'abandonner. Notre diable est un peu ridicule et misérable, corps difforme et peu sexué,  les personnages s'agglutinent au passage des portes, ne dorment plus, mangent des miettes, considèrent que non le bien n'existe pas, qu'il n'existe que le mal...On voit un petit homoncule dans une bouteille, des plans à la Bergman, d'autres très cinéma russe année 20, Hanna Schygulla qui passe et repasse parée de costumes  à la Velasquez,  et l'on comprend au fond, que l'épreuve de notre savant sera de vivre cette vie-là, la nôtre...dont il faut construire éternellement le sens.

Le film atteint son apogée au trois quart dans une scène SUBLIME entre notre savant et sa vénus botticellienne : respiration en fond, irradiation orangée des visages...n'en disons pas davantage, quelque chose d'aussi juste et d'aussi beau sur la montée du désir, on n'avait jamais vu ça au cinéma. C'est immense.

Il faut donc aller voir ce film, car Sokourov est, à l'image de Terrence Malick, un grand réalisateur authentique et profondément libre !