Le retour de Fitzgerald

Publié Mercredi 12 septembre 2012

Oui, on est en septembre, c’est la rentrée littéraire, chacun pourra piocher parmi les nouveautés de ses auteurs contemporains fétiches : dédaigner ou adorer une originalité, déplorer le manque fatal de cet ingrédient essentiel par-ci, découvrir un souffle rafraichissant par-là… Mais une sortie un peu spéciale a attiré notre attention : celle de l’œuvre complète de Fitzgerald éditée par la Pléiade. Et dieu sait qu’il est opportun de rappeler à notre bon souvenir la majesté de cet auteur : héraut de la « génération perdue », observateur de l’entre deux guerres entre New-York et la Côte d’azur, œil désabusé circulant parmi des personnages dont la richesse n’a d’égale que leur porte-monnaie et le désespoir dans lequel ils plongeront irrémédiablement.

 

Couple d’enfer

Que reste-t-il de Francis Scott Fitzgerald 70 ans après sa mort ? Cinq romans, une armada de nouvelles, l’incarnation d’une époque à travers une plume inspirée par son environnement social comme intime. De Fitzgerald, on évoque automatiquement le Gatsby (Gatsby le magnifique, 1925), personnage aussi fameux que mystérieux, et sa relation avec Zelda Fitzgerald : femme adorée et source d’intolérables maux. Leur couple, ses hauts et ses bas – mélange d’alcool, de dépression, de passion et de génie – est le voile qui à la fois sous-tend l’œuvre de Fitzgerald et la menace d’engloutissement. De L’envers du paradis (1920), premier roman écrit pour séduire la jeune femme et dont le succès lui permet de l’épouser, jusqu’au couple vibrant et douloureux formé par Dick et Nicole dans Tendre est la nuit (chef d’œuvre de 1934), en passant par les désinvoltes oisifs promis à la chute Anthony et Gloria dans Les heureux et les damnés (miracle littéraire de 1922), Zelda et Francis sont partout en filigrane.

Décris-moi un mouton

Grand virtuose dans l’art de la description flamboyante, non soporifique et créatrice d’images inscrites dans une ambiance, Fitzgerald se situe à l’opposé d’un auteur se faisant un point d’honneur à tout décrire en détails objectifs. Bien souvent, les descriptions interviennent comme révélateur de l’état intérieur d’un personnage, elles viennent dire la fascination et l’appréhension, la grandeur, la beauté, mais aussi l’imminence de la catastrophe. Comme dans Les heureux et les damnés, où le sentiment de la mélancolie apparaît déjà dans l’enthousiasme du début : « Le mouvement ralenti des taxis auprès de lui, et des rires, des rires rauques comme un croassement, incessants et bruyants, avec le grondement du métro sous terre – et au-dessus de tout cela, les révolutions de la lumière, le jet et le retrait de la lumière –, la lumière se divisant en perles, se formant et se reformant en barres scintillantes, en cercles et en monstrueuses figures grotesques, bizarrement profilées sur le ciel. » La lumière, ici invoquée comme une incantation, ne pourra vaincre le mal qui s’immisce « en monstrueuses figures ». Toute belle qu’elle soit, elle porte en elle une inquiétude élémentaire : la conscience de l’ombre qui la guette. Une lucidité du crépuscule en somme.

 

Francis Scott Fitzgerald, Romans, nouvelles et récit Tome I & II, sortie le 20 septembre 2012