Le Mois du graphisme s'achèvera en janvier prochain, d'ici là, libre à chacun d'aller apprécier la richesse des expositions organisées à l'occasion. Chanceux que nous sommes, nous avons eu droit à une poly-visite, allant d'expo en expo (donc de lieu en lieu), en présence des principaux intéressés : les créateurs. Laetitia Giry
Sur deux étages, dans ce qui semble être au premier un couloir, au second un espace mezzanine aéré et fort convenable, sont affichées ou encadrées sur pieds – eux-mêmes disposés en rangée – des dizaines d'affiches au sujet commun : les 20 ans du Mois du Graphisme, sur le thème New York / Tokyo / Moscou. Résultat d'un appel lancé par le Mois à de nombreuses écoles de graphisme (qui ont toutes répondu par l'affirmative, et livré leurs travaux en temps et en heure – ce qu'aura apprécié et salué Michel Bouvet, commissaire des expositions), cette centaine de productions n'a pas à rougir à côté des grands maîtres par ailleurs mis en avant par le Mois : inventivité, sobriété parfois, savoir-faire, le résultat est d'une étonnante maturité. Cette profusion confronte les affiches en présence à une dure loi de la jungle – inhérente à leur nature, cela dit – qui veut que pour être regardée plus que sa voisine, elle doit attirer l'œil, et savoir conserver l'intérêt. Parmi elles, certaines nous ont séduits plus que d'autres : la silhouette blanche d'une bouteille de coca sur fond gris est sans doute la plus conceptuellement intéressante, jouant sur la reconnaissance et l'uniformisation mondiale dont cet objet est un des plus vifs révélateurs. Les autres pratiquent quasi sans exception le mélange des symboles : ce qui peut donner naissance à des images insolites et drôles, comme ce maki (cousin du sushi) dont l'algue est remplacée par une tranche de saumon, le riz par du caviar et le bout de poisson central par des frites. Le décalage est là, il rit de lui-même. Au rez-de-chaussée, le grand espace habituellement vide est agencé comme une véritable galerie, offrant un labyrinthe de murs blancs accueillant les œuvres du Russe Yuri Gulitov. Ce dernier nous précise succinctement qu'il aime l'alphabet russe (et les autres), qu'il aime jouer avec... En effet, la déclinaison des lettres apparaît inlassablement sur chaque affiche. Un travail qui nous a semblé à la limite de l'austérité, plein d'une sorte de violence contenue dont les décharges se font sournoises. Musée Géo-Charles : The american dream (part one)
La partie consacrée au graphisme américain se décline en trois expositions, dont une au Musée Géo-Charles, et deux plus modestes dans les Moulins de Villancourt. La première est sans doute la plus importante tant en termes qualitatifs que quantitatifs : consacrée à la graphiste Carin Goldberg, elle présente nombre de ses œuvres, ainsi que des photos, croquis et collages, démonstration de son travail en cours d'élaboration. Expansive et exubérante, Carin Goldberg découvre l'exposition pour la première fois, s'en enthousiasme, remercie beaucoup et pleure un peu. Dans le couloir du musée Géo-Charles séparant une pièce d'une autre, la diffusion d'une vidéo accompagnée de morceaux appréciés par l'artiste crée une ambiance café des plus appréciables. Mais revenons à l'essentiel : Carin Goldberg vit et travaille à New York – Brooklyn pour être précis – elle enseigne à la fameuse School of Visual Arts et voit ses travaux régulièrement reproduits dans des journaux comme le Times, le New Yorker ou encore le New York Times. Une pointure donc, dont l'originalité, l'humilité et la capacité d'adaptation ont de quoi en faire rêver plus d'un. Couvertures de disques ou de livres, esquisses et prises de notes : tout ce qui est montré dans cette exposition est, de fait, à voir. On aime quant à nous sa façon de jouer avec les stéréotypes, avec le sens attribué aux objets – qu'elle détourne à l'envi – à l'image de ce découpage/collage de la Tour Eiffel en une succession verticale d'étiquettes blanches à bord rouge (du type de celles que l'on utilise sur les cahiers d'écoliers) indiquant les mots « Cigarettes », « Sartre », « meat », « ART » et « Sex ». Une bonne dose de clichés qui, empilés, prêtent à sourire et finissent par donner un aperçu de sa conception de la France, dans une mise en abyme à l'apparence grossière, mais dont le recoupage n'a finalement rien d'une moquerie. Moulins de Villancourt : The american dream (part 2 & 3) + Live in Tokyo
Le panorama « The american dream » continue aux Moulins avec « Gig posters. Affiches underground américaines contemporaines. » Une expo qui ne pourrait pas mieux porter son nom... Ces affiches annoncent des concerts de groupes indie-pop-rock-folk tels que Sonic Youth, The Tallest Man on Earth, The National, Grizzly Bear, et sont toutes le fruit d'artistes graphistes passionnés : à découvrir comme une incursion en images dans cette culture que l'on chérit tant.
Planquée dans le flot de ces affiches, une petite salle toute de noir vêtue accueille « Woodstock 69. The Spirit of o Generation. Photographies d'Elliot Landy. » Elle aussi porte bien son nom. L'on y découvre des clichés de Bob Dylan effectués avec des filtres ayant transformé les couleurs, d'autres de la foule, impressionnante comme une houle humaine.
Le parcours dans les Moulins finit sur le zoom japonais avec « Live in Tokyo », retour sur l'œuvre de Mitsuo Katsui. Le monsieur a la pudeur et la retenue propres à la culture nippone, il parle peu mais observe. Reconnu très largement pour sa capacité à mêler dans ses créations la tradition graphique japonaise aux évolutions technologiques et les infinies possibilités qu'elles permettent, il enchante à la manière d'un magicien. Son œuvre, gigantesque (voire titanesque), respire la patience et la fascination pour l'outil qu'il manipule, ainsi que pour le média qu'il préfère : la couleur. En grandes effusions fluo, en fondus ou en formes hermétiques les unes aux autres, la couleur est partout intense. Elle intervient en qualité de trompe l'œil, servant à Mitsuo Katsui de moyen pour élaborer des illusions d'optique saisissantes : ici des lignes de carrés bougent au gré du mouvement de notre regard (alors que la réalité matérielle de l'affiche fait qu'elle est, à l'évidence, aussi fixe que figée), là des virgules vertes sautillent sur un fond rouge (du fait d'une concentration très spéciale de la couleur). Une maîtrise pleine de fantaisie dont il serait bien dommage de se priver.Le Mois du Graphisme d'Echirolles
Jusqu'au 30 janvier 2011.