Quelque chose de nourri au royaume du théâtre

Après avoir secoué un festival d’Avignon par trop vaporeux, la dernière création de Vincent Macaigne, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, arrive cette semaine sur les planches fébriles de la MC2. Portrait de l’artiste en rock star du théâtre français. François Cau

Mars 2009, Paris. La première du spectacle Idiot ! vient de se terminer. Le lustre indécent du Théâtre de Chaillot vient d’être mis à mal par une troupe d’énergumènes, qui se sont emparés du texte de Dostoïevski pour en faire ressortir toute la colère, les frustrations, la violence insupportable. Pendant quatre heures défilées à toute vitesse, ça a gueulé, ça s’est déchiré, ça a éclaboussé le public de projections diverses, ça a passé du rock alternatif en poussant les amplis à 11, ça a vomi un entracte dépressif sur fond de November Rain des Guns. Quand le daron de la MC2 demande ce qu’on en a pensé, on ne peut que répondre « Rock’n’roll, motherfucker », en boucle – et ça ne formalise même pas le so chic ponte de la Culture grenobloise ; en fait, il ne peut qu’acquiescer. Dans le hall insolemment rococo du théâtre, Vincent Macaigne fait son arrivée, entouré d’une meute cultureuse bienveillante mais qui n’a pas forcément l’air de le mettre à l’aise. La démarche dégingandée, le cheveu hirsute et le regard fuyant, il engrange les louanges de circonstance avec circonspection, tant le spectacle est encore loin d’être à son goût. Par la suite, il n’aura de cesse de le modifier, le raccourcir puis le rallonger, le réécrire – quitte à rendre ses acteurs barjo. Dans son rôle de bateleur agressif du public, il se donne de plus en plus, beugle en coulisses, hurle sur les spectateurs trainards, traduit physiquement son engagement total dans la création – quitte à se payer un infarctus pour fêter son entrée dans la trentaine.

Théâtre à la criée

Idiot ! se joue le mois suivant pendant deux semaines à la MC2, et bénéficie rapidement d’un bouche-à-oreille saisissant. Les fauteuils claquent toujours, des spectateurs revêches à cette débauche théâtrale énoncent leur mécontentement à voix haute au plus grand ravissement des fans de plus en plus nombreux du metteur en scène et de sa compagnie. Du théâtre contemporain où l’on se fout à poil en gueulant, les scènes nationales en ont charrié à foison. Mais jamais avec une telle puissance dans l’écriture et une telle radicalité scénographique. Ce postulat se confirme avec la commande pour les Cabarets de la MC2, en décembre de la même année, avec un spectacle dont le titre fait office de note d’intention. Avec On aurait voulu pouvoir salir le sol, non ?, pièce montée à toute vitesse et dont l’urgence permanente chope le spectateur par le col pour ne jamais le lâcher, Macaigne n’est plus dans l’adaptation et laisse donc pleinement entrevoir ses qualités d’auteur, déjà explosives dans Idiot !. Le public se voit servir de la bière à satiété, est invité à danser sur scène, des complices balancent des boules de neige perturbatrices en pleine tempête au dehors, et le texte se transforme très rapidement en véritable jeu de massacre des institutions. Dans cet édifiant état des lieux du spectacle vivant à la française, tout le monde y passe, de Patrice Chéreau au directeur de la MC2 Michel Orier – ce dernier n’en prendra pas ombrage, à l’inverse de la Secrétaire générale de l’époque, qui accusera vertement le metteur en scène de cracher dans la soupe…

Politique friction

Le travail de Vincent Macaigne ne se montrera pas sur les planches l’année suivante. Histoire de souffler un peu, de préparer dans des conditions moins précipitées ses pièces suivantes, et de mettre la dernière main à son court-métrage Ce qu’il restera de nous (montré au dernier Festival du Court de Grenoble). Une rivalité fraternelle, thème de cette première réalisation, est également au cœur de Requiem 3, reprise d’un spectacle de jeunesse aux Bouffes du Nord en mars dernier. Dans un royaume fantoche aux rituels aussi obsolètes qu’humiliants, deux frères se disputent le trône, Abel et Caïn déviants d’une farce sinistre qui sidère par son âpreté, son humour cinglant au milieu du chaos, et une fin étouffante qui aura raison des spectateurs qui se croyaient endurants. Pas besoin de gratter beaucoup de vernis pour percevoir que des apparences gueulardes, ces sales gosses délivrent l’un des discours les plus percutants qui soient sur les politiques, les décadences sociétales et civilisationnelles. Signe qui ne trompe pas, on est loin d’être les seuls à s’être déplacés jusqu’à Paris pour voir le résultat. Et à Avignon, le soir de la première d’Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, l’accueil fait au spectacle ressemble plus à celui d’un concert de rock qu’à une adaptation (certes lointaine) d’Hamlet. La pièce condense toutes les qualités de son auteur / metteur en scène, une direction d’acteurs bouillonnante, une scéno dantesque, des fulgurances textuelles monstrueuses, des points de vue ravageurs sur le théâtre, nos souillures, l’Europe. Ne vous faites pas prier et foncez-y.

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