Le monde nourrit bien les fous

La grimace du monde

Couvent Sainte-Cécile

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Installée au couvent Sainte-Cécile, dans les locaux des éditions Glénat, l'exposition "La grimace du monde" est un hommage au fantastique à travers les âges, entre tableaux de maîtres, esquisses religieuses et bulles de comic strip. Un voyage dans le temps qui débute avec le XVIe siècle flamand pour se terminer par une immersion dans la bande dessinée contemporaine, en passant par le romantisme anglo-saxon et le surréalisme latin. Guillaume Renouard

Éclectique, tel est sans doute le premier terme qui vient à l’esprit pour définir l’exposition La grimace du monde, installée au couvent Saint-Cécile jusqu’au 23 avril. De la peinture hollandaise du XVIe siècle aux idées noires de Franquin, en passant par le naturalisme belge et quelques étranges dessins d’auteurs de bandes dessinées contemporaines, on y trouve des œuvres que tout semble opposer. Mais l’œil aguerri finit par discerner des thèmes communs : règne de l’étrange, du bizarre, de l’absurde et du rire grinçant. Goût pour les paysages familiers où surgit brusquement le surnaturel. Tentations du Diable, visions d’enfer, volutes de fumée léchée par les flammes, folie, zigzags. Des lignes directrices bien résumées par le sous-titre « Le fantastique entre Bosch, Bruegel et la bande dessinée ».

Thank you Satan

Un certain nombre d’œuvres joue sur l’apparition du pêché au sein du monde. C’est le cas des Sept Péchés capitaux, de l’atelier de Bosch. Vue d’ensemble à la normalité sinistre, malsaine, juxtaposition de mini-saynètes mimant chacune un péché différent : un moine mord un badaud, symbolisant la gourmandise ; un mari sur le point d’égorger sa femme incarne la colère. Le christ crucifié sur le Golgotha surplombe la scène, l’Enfer occupe le bas du tableau.

Le diable semant l’ivraie de Grimmer semble d’abord représenter un superbe et innocent paysage de campagne hollandaise. Nature luxuriante, eaux claires, arbres touffus et horizon baigné de nuages. Une tranquillité rompue par l’apparition du Diable au premier plan, présence incongrue trahissant la prégnance du mal dans le quotidien.

Plus loin, l’enfer est intégralement représenté. La tentation de Saint-Antoine, par un flamand anonyme, montre le saint homme vulnérable au milieu d’un paysage ocre et sinistre, où le burlesque côtoie l’effroi. Deux coquilles d’œuf s’entretuent à coups d’épée et de flèches, un monastère s’embrase, succubes, oiseaux de malheur et petits monstres noirs hérissés de poils sourient au spectateur.

Autre version de la tentation, par Le Jeune cette fois, tout aussi chaotique. Une forêt aux reflets d’ébène abritant une armée de démons derrière son feuillage, flots noir regorgeant de créatures aquatiques. Le malheureux Saint-Antoine lacéré par des monstres, un corps de chien surplombé d’une tête de phacochère affublée d’une trompe d’éléphant et un poulet aux pattes griffues coiffé d’une tête de blaireau à la mâchoire garnie de dents acérées. Un cavalier de l’apocalypse jaillit des eaux, une hydre volante surplombe la scène, avec en sus la présence déconcertante d’un possible ancêtre du marsupilami à l’immense queue jaune décrivant des cercles concentriques.

Le Jugement dernier de Bosch est une succession de scènes de torture, avec un démon déguisé en nonne en train de faire frire des membres humains, une tête de fakir plantée sur deux pattes et une queue de lézard, un poisson bipède chevauché par une tête casquée. Confusion, beuverie, étrange, perte de repères.

Tout feu tout flamme

D’autres œuvres font la part belle aux flammes, à leur beauté aussi dangereuse que fascinante. L’incendie de Troie, de Kreuninck : fumée âcre montant en volutes, massacres, fuites, mer rouge sang. Sur la droite, une statue sombre et monolithique se dresse, insensible aux détresses des hommes. À l’horizon, le ciel est d’un rouge d’Enfer. 

Même ambiance apocalyptique chez Gassel et son œuvre phare, Loth et ses filles dans un paysage panoramique avec les villes de Sodome et Gomorrhe en flammes. Ciel bardé de nuages rougeoyants, explosions, flots de braise, avec au premier plan Loth et ses deux filles, qu’on devine en état d’ébriété avancé et prêts à commettre un ignoble double inceste.

D’avantage de calme et de sérénité, plus loin, avec Ermitage dans les montagnes de Pozzoserrato : arbres touffus, volutes de nuages évanescents, chasseurs à dos de cheval.

La tour de Babel de van Cleve : immense, monolithique, puissante, radieuse, droite, tout en angles et en cercles montant vers les sommets, éclairée par un rayon de soleil, badauds au premier plan, grandeur, splendeurs et vanité de la condition humaine.

L’exposition s’achève par des œuvres plus modernes. Le troublant Babel by night de De Ville : immense structure composée d’un collage de façades éclairées. Clair de lune et lumière pâlotte des réverbères, moutons au regard inquisiteur, moulin à vent et campagne hollandaise, marche nocturne sur les dalles encore trempées par l’averse du soir.

Du côté de la BD

Quelques planches de bande dessinée : le Kraken sur le point de dévorer Jonas ; une barque et son passager perdus au milieu des eaux en furie, pluie battante, creux de la vague, nuage d’écume ; créatures noires et difformes qui prennent vie sous la plume de Franquin.

Mais l’œuvre qui incarne à elle seule l’exposition est sans doute Le monde nourrit bien les fous (photo) : deux individus visiblement dérangés, au rictus goguenard, en habit de bouffons, surplombés d’un rébus énigmatique. À la fois simple, complexe, lourd d’un sens occulte, grinçant, souriant, perturbant.

La grimace du monde, jusqu'au jeudi 24 avril au couvent Sainte-Cécile

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