"Grace de Monaco" d'Olivier Dahan (en salles depuis mercredi). "Timbuktu" d'Abderrahmane Sissako (pas encore de date de sortie)
C'est donc reparti pour un tour de Cannes, et bon, disons-le tout de suite, ça a très très mal commencé. Avec la présentation en ouverture du Grace de Monaco d'Olivier Dahan, on sonde déjà les profondeurs du néant cinématographique. Il faut remonter à loin pour trouver une séance de gala aussi foireuse (Da Vinci Code ? Fanfan la Tulipe ?). Les producteurs de ce truc peuvent remercier Thierry Frémaux d'avoir donné un généreux coup de pouce à un film en perdition depuis des mois, en particulier depuis la brouille ouverte entre le réalisateur et Harvey Weinstein, à qui on donne plutôt raison d'avoir refusé de présenter cette version au public américain. Quoique, à moins de le retourner intégralement, on voit mal comment on peut sauver l'affaire du naufrage dans lequel il s'enfonce quasi-instantanément.
Déjà, l'angle choisi pour cette bio a de quoi faire hurler : comment Grace Kelly a choisi de renoncer définitivement à sa carrière au cinéma pour endosser les habits de princesse monégasque, à la faveur d'un incident qui opposa la famille royale à De Gaulle, décidé à mettre fin à l'exil massif des capitaux qui avait lieu là-bas. Dahan présente cette tentative comme une véritable offense faite aux riches, prenant le parti des nantis monégasques contre ces salopiauds de Français et leurs impôts à la con. Tristement contemporaine, aussi subtile qu'une Une du Point, cette déclaration (de revenus) est noyée dans un bain d'eau de rose et un scénario qui décalque grossièrement Le Discours d'un Roi.
En effet, mal à l'aise avec le protocole princier, Grace doit donc prendre des cours de maintien et, suspecte d'être une frivole Américaine, va se mettre au Français au cours de leçons où, putain, c'est dur, il faut apprendre à rugir les R — superbe image de Nicole Kidman imitant une tigresse pour essayer d'y parvenir. Le discours final, sommet de niaiserie à côté duquel les Miss France font figure de Nobel, la verra mettre fin à ce début de troisième guerre mondiale en vantant l'amour comme solution pour unir les peuples. Cela permettra au moins à Tim Roth, en Rainier de Monaco que tout le monde appelle « Ray » dans le film, de sortir de la monoexpression consternée qu'il arborait depuis le début — tant qu'à être logique, il aurait mieux valu qu'il choisisse l'affliction plutôt que la fierté.
Pour ceux qui douteraient encore de la nullité de cette daube stratosphérique, un mot de la mise en scène d'Olivier Dahan. Trop content de revenir au genre qui lui a valu une reconnaissance internationale avec La Môme et lui a permis de faire oublier qu'avant, il cachetonnait pour Besson un nanar déjà grotesque comme Les Rivières pourpres 2, il balade sa steadycam dans tous les sens, tente de transformer la famille Grimaldi en Atrides contemporains et, surtout, filme des couloirs, beaucoup de couloirs. C'est sans doute un écho au plan séquence spectaculaire où Piaf apprenait la mort de Cerdan en traversant son immense appartement. Mais là, il n'y a strictement aucune charge dramatique à ces travellings interminables où l'on visite vingt fois les coursives du Palais, comme une figure de style dévitalisée de tout propos et de toute justification. Pathétique, à l'image de certains dialogues déjà cultes, et notamment l'involontairement hilarant : « On ira vivre dans une ferme à Montpellier.» Une ferme, d'accord, mais pourquoi Montpellier ? La principauté a déjà manifesté son courroux envers le film — on la comprend, tant tout à l'air absolument bidonné — mais l'office du tourisme de l'Hérault ne devrait pas tarder à faire de même !
Vague impression de déjà-vu
Changement de registre radical avec le premier film de la compétition, Timbuktu d'Abderrahmane Sissako. C'est une déception après le formidable Bamako, même si la première partie est assez forte. Sissako évoque la guerre au Mali à travers le microcosme d'un petit village qui tombe entre les mains d'une poignée d'islamistes prônant le Djihad, tentant de mettre la population sous la coupe de règles radicales — femmes gantées et voilées, interdiction de chanter et de faire de la musique. Si, dès le départ, le film adopte une narration fragmentaire typique d'un world cinema moderne très éculé, il surprend par le point de vue qu'il pose sur ses djihadistes : globalement, de pauvres types que l'on décrit à travers de saynètes comiques qui soulignent toutes leurs contradictions. Cette irruption de la quotidienneté au sein d'un sujet dramatique et encore chaud surprend et séduit, notamment lors de cette séquence complètement ahurissante où l'un des pieds nickelés bloque sur une dune avec un buisson au milieu évoquant un sexe de femme, qu'il rasera à la fin avec sa grosse mitraillette.
L'humour de Sissako, hélas, s'érode au fil du récit, et ne reste plus alors que le squelette narratif d'un scénario post-it que la mise en scène tente de revitaliser par une certaine sécheresse de trait. C'est à moitié convaincant, le film cherchant la bonne distance pour montrer les exactions commises sans tomber dans l'horreur pure ou la complaisance crasse, mais ne parvient jamais tout à fait à la trouver. Il y a parfois de belles idées mais aussi des tunnels de dialogues un peu lourds et une structure désespérément lâche qui affaiblit les moments forts et marquants — l'homme qui danse ou l'exécution finale. Timbuktu n'a rien de honteux, mais on n'a pas tellement envie de faire semblant : on en sort avec une vague impression de déjà-vu.