Oumou Sangaré : « C'est bien beau de chanter, mais j'ai jugé nécessaire de poser quelques actes »

Oumou Sangaré : « C'est bien beau de chanter, mais j'ai jugé nécessaire de poser quelques actes »

Concert / Diva malienne, icone féministe : Oumou Sangaré chantera à la Belle Électrique de Grenoble le 17 novembre. Au-delà de compter parmi les plus belles voix d'Afrique, elle est une personnalité très engagée, en particulier pour la cause des femmes. Référence d'artistes comme Alicia Keys, Beyoncé ou Aya Nakamura, son dernier album, Timbuktu, est de notre point de vue l'un des plus beaux de sa longue discographie. Entretien.  

Dans l'éternel studio bondé de Planète Rap, Aya Nakamura chante : « J'suis comme Oumou Sangaré ». La star malienne dodeline et la couve du regard, large sourire aux lèvres. Étreinte émouvante entre deux générations de femmes maliennes. Il y a une dizaine d'années, elle sublimait le Fallin' d'Alicia Keys lors d'un duo pour la télé américaine. Une voix sublime, et cette façon de dominer calmement le monde entier d'un œil mi-bienveillant, mi-distant : elle est au-dessus. Oumou Sangaré, superstar par excellence.

Une carrière qu'elle doit autant à son talent qu'à ses engagements. Son enfance dans la misère au Mali a forgé son féminisme. « Je suis née dans une famille polygame, et je me suis retrouvée seule à l'âge de 2 ans, avec mes frères et sœurs et notre maman. Notre père nous a laissés pour partir avec une autre femme. Du coup, la galère... La maman souffrait et nous, les enfants, on souffrait aussi à côté d'elle. Vous savez, en Afrique il n'y a pas d'aide sociale, c'est chacun pour soi et Dieu pour tous... Ma maman était une battante, une femme très très brave, digne, qui disait : vous allez manger, mais jamais je ne ferai des conneries pour remplir le ventre de mes enfants. Elle préférait aller travailler chez les autres, laver les vêtements, vivre de petits commerces... Elle s'est battue pour nous élever dignement. Avec tous les honneurs du monde. Je suis sa première fille ; je voyais comment elle souffrait, comment elle galérait... Je me disais, c'est injuste. C'est pas elle seule qui nous a mis au monde, pourquoi elle serait la seule responsable. Le monde n'est pas juste, il faut le dire, faire quelque chose. »

Des années de dénuement extrême que la petite fille s'est mise à chanter dès l'âge de 5 ans, sur les scènes de sa région, le Wassoulou, dans le sud du Mali (et à cheval sur la Guinée et la Côte d'Ivoire). « J'ai chanté la souffrance de ma maman dans les baptêmes, les mariages... Et je voyais que ça touchait beaucoup de gens, beaucoup de femmes. Je me suis dit, tout le monde souffre comme ma mère ! C'est comme ça que je me suis lancée dans ce combat, j'ai dédié mon tout premier album à toutes les femmes, pour les encourager à travailler, à être autonomes, à ne pas dépendre de quelqu'un. J'ai lancé cet appel aux jeunes filles : travaillez, vous êtes intelligentes, vous pouvez réussir votre vie ; ne soyez pas trop attachées à l'homme, travaillez ! Le message est bien passé, je suis très fière de ça aujourd'hui. » À l'âge de 18 ans, elle enregistre sa première cassette, qui sort en 1988 au Mali et s'écoule à plus de 100 000 exemplaires. Un an plus tard, accompagnée par un label anglais, elle se lance à l'international. Avec le succès que l'on connaît.

Femme d'affaires

Fer de lance de la lutte pour l'émancipation des Africaines, Oumou Sangaré est honorée au Mali comme à l'étranger : ambassadrice de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), décorée par l'Unesco... On la sent fière de ces prestiges, mais elle ne perd pas de vue son objectif. « Pendant dix ou quinze ans, je chantais en disant : "les femmes, soyez autonomes". C'est bien beau de chanter, parler, dire fait ci, fait ça. Mais j'ai jugé nécessaire de poser quelques actes, pour montrer que ce que je dis, ce que j'ai dans le cœur, c'est possible. » Ainsi Oumou Sangaré est devenue une véritable femme d'affaires au Mali (hôtel, compagnie de taxis, exploitations agricoles, élevage...), avec une certaine jubilation à bousculer ce milieu réservé aux hommes.

En pleine tournée internationale, Oumou Sangaré présente un treizième album de haut rang, Timbuktu, composé aux États-Unis pendant le confinement de 2020. Aux tonalités du traditionnel n'goni propre à la musique wassoulou, s'ajoute ce qui donne toute sa force au disque : les guitares électriques blues de Pascal Danaë, leader du groupe de blues créole Delgres.

Une collaboration en distanciel, comme on dit. Après la quatrième édition du Fiwa (Festival international du wassulu) qu'elle a créé au Mali, et qui a réuni 400 000 personnes sur trois jours, Oumou Sangaré traversait l'Atlantique pour deux semaines de vacances à New York. Mais Covid. « Et paf, les frontières se sont fermées. Je me suis retrouvée coincée. » Après trois mois de « séquestration », la chanteuse décide d'investir dans une petite maison à Baltimore, pour être chez elle. « Et c'est là, enfin chez moi, dans une liberté totale, que tous les génies créatifs se sont réveillés en moi. » Elle fait venir de Los Angeles Mamadou Sidibé, son joueur fétiche de n'goni ; elle contacte, en France, le producteur Nicolas Quéré et le musicien Pascal Danaë.

Au fil des échanges de maquettes, l'album Timbuktu prend forme, nommé d'après cette ville historique du centre du Mali, ravagée par les terroristes islamistes il y a quelques années. « Mon pays souffre, c'est une manière de lui rendre hommage, ainsi qu'à tous les Maliens ; leur rappeler de réfléchir, retourner à nos traditions, nos sources... On a tendance à oublier d'où on vient, où on va. » Elle continue d'appeler à l'égalité des sexes, à dénoncer les injustices sociales, et garde au cœur sa patrie, le Mali, dont l'actualité n'est pas réjouissante. « La situation est très tendue. C'est vrai qu'au Mali ça ne va pas, mais je pense que c'est le monde entier, le monde entier ne va pas du tout. Les dirigeants doivent s'asseoir, réfléchir, oublier certaines choses, oublier des choses coloniales, reprendre tout. Parce que les temps ont changé, la jeunesse n'est pas celle des années 60. On est liés par le sang, par l'histoire, on ne peut pas divorcer, ce n'est pas possible. Il faut que chacun s'assoie, amène son idée, pour trouver un accord juste pour tout le monde. La guerre n'est pas une solution. L'Amérique a fait vingt ans en Afghanistan, à la fin ils sont revenus autour de la table pour trouver un accord. Il faut du dialogue. »

Oumou Sangaré jeudi 17 novembre à 20h à la Belle Électrique, 26€/28€

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