Théâtre / Après "Ça ira (1) Fin de Louis" passée par Grenoble en 2016, la MC2 accueille de nouveau le metteur en scène Joël Pommerat avec son "Contes et légendes" créé l'an passé. Un titre faussement doux pour un spectacle qui s'intéresse autant à l'adolescence comme période de construction violente qu'à notre monde contemporain déshumanisé. Une immense réussite qui prouve une fois de plus, s'il en était encore besoin, que Joël Pommerat est un artiste qui fera date dans l'histoire du théâtre français.
Nous avons de la chance, nous pauvres êtres du début du XXIe siècle qui glorifions notre passé théâtral avec, parfois, une nostalgie mortifère, de pouvoir suivre de près la carrière d'un homme de théâtre comme Joël Pommerat. Un metteur en scène qui, depuis trente ans, développe un langage artistique singulier, à la fois contemporain (il écrit ses textes, lui l'« écrivain de spectacle »), engagé (il questionne sans cesse notre monde, avec finesse) et, ce qui n'est pas la moindre des qualités, populaire. Il n'y a qu'à empiriquement faire le test en amenant à l'une de ses représentations une personne qui penserait que le théâtre n'est pas pour elle : c'est presque gagnant à coup sûr !
Un savoir-faire de plus en plus affirmé avec le temps (et le succès) qui transparaît une nouvelle fois dans son dernier spectacle en date, Contes et légendes. Un Pommerat pur jus, notamment visuellement (quel travail sur les clairs-obscurs !), mais tout de même surprenant dans son propos...
Humain après tout
Il était une fois notre société ultratechnologique, presque déshumanisée. C'est en son sein que Joël Pommerat va dérouler son récit, ou plutôt ses récits. Sur le plateau, des adolescents vivent, grandissent, se confrontent (la première séquence, violente, matérialise crument une situation de harcèlement), se cherchent des modèles (quel tableau final incroyable, un de ces moments de théâtre comme on n'en voit que trop peu !) ; le tout en côtoyant des robots à l'apparence humaine.
Car Contes et légendes offre plusieurs niveaux de lecture possibles, Joël Pommerat mixant ses recherches initiales sur « l'enfance comme période de construction et de fabrication de soi » à un axe très science-fiction. Dans son étrange futur (qui n'a de futur que le nom puisqu'il ressemble finalement diablement à notre présent), des humanoïdes sont là pour aussi bien assister les êtres humains dans leurs tâches quotidiennes que pour révéler voire prendre en charge leurs émotions. À l'image de cette scène où une mère qui se sait condamnée présente à sa famille le robot qui la remplacera après sa mort. Troublant et glaçant, même si Pommerat ouvre davantage de portes qu'il ne livre de condamnations sentencieuses sur notre époque et ses possibles dérives. À nous, spectatrices et spectateurs, de faire notre chemin avec.
Mauvais garçons
Un trouble renforcé par tout l'artisanat mis en place par Joël Pommerat, et notamment l'aspect visuel, toujours minutieusement travaillé dans ses créations. Avec son fidèle scénographe et créateur lumières Éric Soyer, il a imaginé un décor d'une apparente simplicité (un plateau nu parfois agrémenté de quelques meubles et accessoires afin de matérialiser un espace défini – un salon par exemple) qui permet de révéler les corps de la dizaine d'interprètes qui peuplent ses saynètes.
Et c'est justement dans cette construction même du spectacle que réside l'une de principales forces de son Contes et légendes avec, au centre de tout, d'incroyables comédiennes qui jouent les adolescents (et les robots, façon poupées animées). Joël Pommerat les dirige avec une telle précision qu'on en oublierait presque les artifices du théâtre : ces gamins ne peuvent être que de véritables gamins et non des femmes adultes qui campent des gamins. Un brouillage des frontières qui renforce habilement toutes les réflexions que l'homme de théâtre nous livre en filigrane sur le genre, la masculinité et la féminité, avec notamment une scène centrale où de jeunes garçons apprennent à « devenir un homme ». Là, plus besoin de robots pour nous faire flipper.
Contes et légendes. À la MC2 du mardi 27 au samedi 31 octobre