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Petula Goldfever : « Comme James Bond est un peu insistant, je le tue »
Par Valentine Autruffe
Publié Mardi 11 avril 2023
Photo : ©Eve Saint-Ramon
Inédit / Le collectif grenoblois Cherry Chérie organise la première édition du Alpes Burlesque Festival, fin avril à la Salle Noire, avec comme maîtresse de cérémonie une sémillante représentante du genre, Petula Goldfever. Elle nous raconte son parcours, sa vision de l’effeuillage, du burlesque et du rapport au corps des femmes.
Tout d’abord pouvez-vous nous donner votre définition du burlesque ?
Le burlesque, c’est l’art de se déshabiller, sur scène, avec glamour, théâtralité et second degré.
Cette part d’humour est-elle ce qui vous différencie du simple strip-tease ?
Oui et non, car il n’y a pas systématiquement du comique. Il peut y avoir, tout simplement, énormément de références esthétiques, qui font que la performance est créatrice d’émotion. Dans l’inconscient collectif, le strip-tease c’est pas bien, parce que ça évoque la sexualité, et la sexualité c’est mal. Or, jusque dans les années 60, le strip-tease se faisait sur scène avec un public assis dans un théâtre, comme nous aujourd’hui. C’est plus tard que sont apparus les clubs de strip-tease qui ont donné cette image, aidés par la télévision et les films. Après, en français on dit effeuillage, mais se déshabiller c’est se déshabiller ! Dans le burlesque, on se déshabille : c’est du strip-tease. Sauf qu’on le théâtralise, qu’on ajoute une narration, un concept, des référents, de superbes costumes qui coûtent extrêmement cher… Moi ce que j’aime, dans le cabaret burlesque, c’est la surprise. De base, je n’ai pas de formation de danseuse, donc il n’est pas aisé de se sentir légitime sur scène. Alors je crée des choses qui me correspondent, généralement des numéros avec une narration.
Une narration qui, souvent, détourne justement le regard porté sur le corps des femmes.
L’effeuillage peut dans certains numéros évoquer la sexualité, mais dans la plupart des cas, on se réapproprie les codes de la séduction et du male gaze, le regard masculin sur ce que devrait être un corps féminin, et on les détourne. Et en général, ce qui va être le plus sulfureux, c’est ce que je trouve le plus grotesque, comme par exemple les cache-tétons qu’on fait tourner... C’est drôle ; et justement, on détourne quelque chose vu comme hyper sexuel – les tétons féminins sont bannis des réseaux sociaux, on ne peut pas apparaître seins nus sur certaines plages ; et même certaines Femen ont été condamnées pour exhibition sexuelle, et non pour trouble à l’ordre public, donc condamnées pour avoir montré leurs seins. Ce qui prouve bien qu’on a toujours une vision binaire du corps de la femme, entre la pute et la vierge – je caricature mais c’est un peu ça ! On ne doit pas forcément cacher nos corps, et si on ne les cache pas, ça ne signifie pas qu’on est forcément dans une sexualité débridée, hystérique ou nymphomane.
Se réapproprier les clichés et les codes de ce que devrait être une femme, c’est "empouvoirant", comme on dit en français. Ça permet de reprendre le pouvoir. Le surjeu de la pin-up séductrice permet aussi de se moquer de ce postulat de ce que devrait être la femme.
Dans votre numéro signature, vous apparaissez sur scène dans un costume de gorille…
Il faut savoir que dans l’histoire du cabaret, le gorille est quelque chose de récurrent. Dans les années 30, ils étaient tous fans de gorille, avec des films comme King Kong ou Blonde Venus, avec Marlene Dietrich qui sort d’un gorille. À l’époque, tout ça avait une forte dimension colonialiste, avec le gorille comme évocation du sauvage, du primaire… Bon, j’ai retiré tout le côté colonialiste. Mais simplement je voulais démarrer sur la sauvagerie, et puis je sors du costume de gorille habillée en Jane, ce qui crée ce contraste sur la féminité. Et pour détourner un peu les symboles phalliques, je ne vais pas manger la banane, comme on pourrait l’attendre, mais je sors mon fouet. On est sur des grands messages [rires] ! Je fais aussi un numéro d’hôtesse de l’air, qui sonne au portique de l’aéroport parce qu’elle porte une robe Paco Rabanne – donc on est vraiment sur une imagerie de l’hôtesse de l’air sixties… Pour me défaire de cette robe métallique, je sors une meuleuse, et je découpe la robe avec la meuleuse : je trouvais que c’était aussi un pied de nez à cette image de la femme fragile, l’hôtesse de l’air en jupe et talons, qui ne fait pas grand-chose à part le service… J’ai encore un numéro où je suis en James Bond Girl, et comme James Bond est un peu insistant – comme il l’est dans tous les James Bond –, je le tue. Et voilà ! On reste sur quelque chose de subversif, qui interroge la société et son regard sur les femmes et sur le corps des femmes.
Le burlesque porte aussi un message d’acceptation des corps des femmes, contre le standard en vigueur ?
Totalement. On monte sur scène quels que soient notre âge, notre corpulence ou notre background. J’ai pu monter sur scène très rapidement avec mes propres idées, mes propres numéros, je le fais encore aujourd’hui. Je ne vois que le burlesque qui permette cette liberté créatrice, et il n’y a que le public du burlesque qui est prêt à accepter et accueillir avec bienveillance les créations, les artistes, même pour leur première fois.
Quel est votre public ?
Principalement des femmes. Il y a peu d’hommes qui viennent d’eux-mêmes voir du burlesque par curiosité ; souvent ils sont emmenés par des copines ou leur compagne. C’est vraiment majoritairement des femmes, qui viennent soutenir et voir d’autres femmes oser monter sur scène, oser arrêter de s’excuser peut-être d’avoir trop de cellulite, d’être trop vieille, ou trop sexy. Le burlesque permet aux femmes d’arrêter de s’excuser, d’être qui elles sont et qui elles ont envie d’être. Le public est extrêmement bienveillant, et c'est un lieu où il a le droit de s’exprimer. On lui demande de crier, de participer ; il n’est pas assis, passif, et je pense que ça fait un bien fou, il y a quelque chose de libérateur, tant du côté des artistes sur scène que du public.
Avant de vous professionnaliser comme artiste burlesque, vous avez été professeure de lettres, videuse de boîte de nuit… Vous nous racontez ?
Je viens de Picardie, c’est assez isolé culturellement. J’étais assez isolée moi-même. Je regardais beaucoup de films sur Arte, à 15 ans j’avais la télé dans ma chambre. Cette culture cinéma m’a beaucoup inspirée. Mes références sont le cinéma hollywoodien jusqu’aux années 60, Rita Hayworth, etc. – je cite aussi James Bond parce que c’est très connoté et misogyne. Ensuite, j’ai fait des études de lettres, en vue de m’inscrire à la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son, ndlr), car je rêvais de devenir scénariste. Sauf que je n’ai pas pu faire la Fémis et travailler en même temps pour la payer, il a fallu faire des choix.
Donc je suis partie à l’étranger pendant trois ans, à Glasgow. Je voulais être serveuse, mais je n’ai pas compris, avec l’accent des Écossais. On m’a donné un T-shirt "security", un talkie-walkie, une oreillette… J’y suis restée trois ans. Le jour où vous vous rendez compte que vous êtes capable de parler à un Écossais totalement bourré, dans le boum boum d’une boîte de nuit, pour lui expliquer qu’il a trop bu et qu’il est temps de sortir, c’est gagné, vous êtes bilingue !
Tant qu’on regardera toujours les femmes à travers le male gaze, on ne sera pas sorties du combat.
Avant cela, j’avais fait des remplacements comme prof de lettre, et le Rectorat m’a rappelée pour un temps plein en France comme enseignante, c’était l’occasion. J’ai fait le boulot que mes parents étaient contents que j’ai, prof, c’est bien pour une femme, ça ne fait pas peur. J’étais professeure de lettres en lycée professionnel à Amiens, et quand j’ai commencé le cabaret burlesque, quelqu’un a envoyé une lettre anonyme au Rectorat pour dire que j’étais strip-teaseuse. J’ai dû me battre, pour dire que j’avais le droit de faire ce que je voulais le week-end. J’ai finalement obtenu l’autorisation de faire du cabaret, mais pas dans la région où j’enseignais. J’ai trouvé ça extrêmement hypocrite, j’ai démissionné, et maintenant je suis effeuilleuse professionnelle. Et j’ai créé une école de burlesque à Amiens, pour être sûre qu’il y ait du burlesque en Picardie.
Quel est le profil de vos élèves ?
Ce sont plutôt des femmes de 35 à 45 ans qui à un moment, se lancent. Elles se forcent un peu à y aller, au départ. Et souvent, il y a quelque chose de thérapeutique dans le burlesque, c’est-à-dire qu’en se rendant compte des injonctions dont on a été victime depuis notre enfance en tant que femme, on peut apprendre à les maîtriser. Ça fait énormément de bien. Tous les commentaires dont on a pu souffrir avant (t’es trop grosse, trop petite, pas assez maquillée, trop maquillée, ta jupe est trop courte, trop longue…) sont totalement injustes, et c’est comme une revanche. Cela permet de prendre confiance en soi. L’important c’est de voir les femmes s’épanouir. Tant qu’on regardera toujours les femmes à travers le male gaze, on ne sera pas sorties du combat.
Alpes Burlesque Festival vendredi 21 et samedi 22 avril à 19h à la Salle Noire, 28€
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