Titiou Lecoq : « Si Macron m'appelle demain, j'ai trois réformes très concrètes à lui proposer »

Conférence / L’autrice Titiou Lecoq publie un nouvel essai féministe, sur un sujet très concret : "Le couple et l’argent". C’est aussi l’intitulé de la conférence-débat qu’elle animera à Grenoble le 1er juin, invitée par la Métropole.

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser au sujet de l’argent dans le couple ?

J’ai écrit une biographie de Balzac (Honoré et moi, L’Iconoclaste, 2019), qui parle de Balzac et l'argent ; ça m'a forcée à m'interroger sur mon propre rapport à l’argent, et j'ai commencé à poser des questions autour de moi, pour savoir comment, parmi mes amis, s’organisait l’argent dans le couple. J’ai découvert, premièrement, qu’on n’en parlait jamais ; deuxièmement, qu’il y avait une somme énorme de possibilités d'organisation. J’ai fait d’abord un podcast, puis j’ai repris tout le sujet pour le livre. Plus je lisais dessus, plus je découvrais des choses. Ça fait plus de dix ans que j’écris sur le féminisme, et j’ai réalisé que je n’étais jamais venue à cette question de la thune, qui est pourtant centrale. Et qui est très liée à ce que j'avais traité dans un livre sur les tâches ménagères et la gestion de la maison. J’en avais parlé sans évoquer ce qu’il y a derrière : on parle de la charge mentale, mais elle va avec un rapport économique.

Vous évoquez une étude qui indique que dès l’enfance et l’adolescence, les filles reçoivent moins d’argent de poche que les garçons. Comment cela s’explique-t-il ?

Tout à fait, c'est une étude qui est très récente – elle date de 2021, donc ce n’est pas la France des années 50 ou 60. On se rend compte qu’on ne donne pas la même somme à ses enfants selon les régions, mais en revanche, sur toute la France, on donne moins aux filles qu’aux garçons. Il y a plusieurs explications mais dans l’étude, ce qui apparaît, c’est que les garçons demandent plus souvent des augmentations. Ils se sentent légitimes à demander plus, contrairement aux filles. On sait que c’est comme ça dans le monde du travail, mais en réalité ça commence très tôt. Ça veut dire qu’il y a un rapport genré à l'argent. D’ailleurs dans le milieu professionnel, ce qui est aussi intéressant, c’est que les femmes touchent moins, mais elles se déclarent plus satisfaites de leur niveau de rémunération que les hommes.

Vous dites aussi qu’on a tendance à gâter les filles avec des cadeaux, alors qu’on donnera plus facilement un chèque à un garçon pour son anniversaire, par exemple…

Alors ça, ce sont les parents, et la famille un peu élargie. Ça construit déjà quelque chose de différent : en donnant un billet au garçon, il peut choisir de le dépenser dans ce qu’il veut, de l'économiser. Ce sont des stéréotypes construits historiquement. Dans le couple, notamment au XIXe siècle, il y a beaucoup eu cette idée du Monsieur Gagne-Tout : c’est l’homme qui devait ramener de l’argent et la femme était plutôt là pour le dépenser. Ça aussi, c’est intéressant ; par exemple dans les magazines féminins, pendant longtemps, quand il était question d’argent, les sujets étaient faits pour leur apprendre à bien dépenser. On les voit comme des consommatrices. Alors que le discours économique auprès des hommes, c’est comment gagner de l’argent. Et cette répartition se retrouve à l’échelle de la société, de la famille, etc.

Il y a aussi ce qu’on appelle la taxe rose…

Oui, c’est le fait qu’un même produit packagé pour une femme sera plus cher qu’un produit packagé pour les hommes. Typiquement, le réveille-matin rose sera plus cher que le même réveille-matin bleu. Ça se cumule avec le fait qu’être une femme, si on remplit tout ce qu’on nous demande – c’est-à-dire être éternellement jeune, mince, pas avoir de poils etc. –, ça coûte très cher, alors même que les femmes sont déjà moins payées.

Dans Le couple et l’argent, vous décrivez la "théorie du pot de yaourt", pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?

Le problème – c’est mon grand dada – c’est que les gens n’y connaissent rien : on n’a pas d’éducation financière. On apprend vaguement des trucs quand les familles nous apprennent quelque chose. Par conséquent, les gens mettent en place un système économique au niveau de leur couple, de leur famille, sans savoir comment ça fonctionne, donc ils prennent des mauvaises décisions sans même s’en rendre compte.

C’est pour ça que j’ai beaucoup parlé de la théorie du pot de yaourt : c’est de l’économie toute simple. En gros, quand on fait un budget, il faut se rendre compte qu’il y a deux types de dépenses différents. Il y a les dépenses qui ne valent rien, ce sont les pots de yaourt : courses, vêtements, etc. Et puis il y a les grosses dépenses qui vont faire du patrimoine : acheter un appartement, une voiture, une œuvre d'art, etc. Et ça ne se vaut pas. Souvent, dans les couples, on se dit que le gros salaire prend en charge les grosses dépenses, et que le petit salaire s’occupe des petites dépenses. Mais les grosses dépenses, ce sont celles qui créent du patrimoine, donc de la richesse. Or, au moment de la séparation, la personne qui a fait les petites dépenses repartira avec les pots de yaourt vides. Donc c’est contre-intuitif, mais si vous êtes le petit salaire, vous avez intérêt à rembourser le maximum possible du crédit de l’appartement, tandis que le gros salaire prendra en charge les courses. C’est de l’éducation financière de base.

Il y a chez de nombreux couples une sorte de tabou à aborder le sujet de l’argent. Comment en parler sereinement avec son conjoint ou sa conjointe ?

Pour l’aborder, mon plan d’action, c’est d’abord de prendre conscience que ce sujet n’est pas du tout neutre. Tout le monde a un rapport psychologique à l’argent, généralement lié à une histoire familiale. Donc avant de dire « notre répartition des dépenses, ça ne va pas du tout », je pense qu'il vaut mieux faire un peu de thérapie de couple. Essayer de comprendre les réactions de l'autre avec l'argent. Une fois qu’on a balayé le terrain psychologique et qu’on se comprend mieux l'un l'autre, on peut regarder comment s’organise notre gestion de l’argent et trouver quelque chose qui nous correspond. À partir de là on peut renégocier. Mais je pense qu’il ne faut pas du tout passer à côté de l’aspect psychologique. Après, je ne joue pas du tout la mère la morale, je ne dis pas qu’il faut faire comme ci ou comme ça, ça dépend de ce que vous voulez. Mais au moins, en faire un sujet, et décider en connaissance de cause.

Les femmes sont moins riches que les hommes, et on se rend compte que tout est imbriqué : elles ont de plus petits salaires et occupent les métiers les plus précaires, donc c’est elles qui freinent leurs carrières quand elles deviennent mères, et ont ensuite de plus petites retraites… Comment peut-on arriver à plus d’égalité ?

C’est là où le sujet est génial, parce qu’il articule plusieurs niveaux. Ce que j’avais en tête en écrivant le livre, c’est que si Macron m’appelle demain, je voulais avoir trois réformes très concrètes à lui proposer pour améliorer les choses. D’abord, la transparence obligatoire sur les salaires dans les entreprises – parce qu’on ne peut pas demander une augmentation si on ne sait pas combien sont payés les autres. Ensuite la déconjugalisation des impôts, des prestations sociales, etc. Et en troisième, je mettrais de l’éducation financière à l’école. Il y a une connaissance économique que les classes riches se transmettent ; cela fonde aussi une injustice. Moi, quand j’ai fini mes études – et elles étaient longues –, on ne m’avait jamais appris à lire ma fiche de salaire. Ce n’est pas normal.

Ce sont déjà trois réformes pas très compliquées à mettre en œuvre. En fait, on n’a pas besoin de faire la révolution, on peut déjà changer les choses concrètement.

Sur les professions féminisées et souvent précaires, notamment les métiers du soin, vous invitez les pouvoirs publics à ne plus communiquer que dans un sens…

On fait l’égalité en alignant les femmes sur les hommes. On dit par exemple qu’ingénieur, c’est super comme métier, c’est bien payé, donc on encourage les femmes à devenir ingénieures. Mais à un moment, il va bien falloir que les hommes aillent aussi vers les métiers du soin. On ne dit jamais « devenez puériculteurs ». On a l’impression que socialement, c’est déchoir pour un garçon, donc c’est compliqué de l’orienter vers ces filières-là. Je trouve qu’aujourd’hui, l’égalité, ça doit porter aussi sur le fait d’aligner les hommes sur les femmes : moins de conduites à risques, être davantage dans le soin et l’attention aux autres… Des choses qu’on associe plutôt au féminin. Allons cultiver ça chez les garçons !

On parle du modèle classique d’un couple hétéro, mais est-ce que ces disparités financières se constatent aussi au sein d’autres modèles de couples, notamment homosexuels ?

On l’observe aussi, parce que les disparités sont très liées à l’arrivée des enfants. Même chez les couples hétéros, aujourd’hui, chez les jeunes, il y a une certaine égalité. Mais l’arrivée des enfants bouleverse tout, dans tous les types de couples, parce que très vite, l’un des deux se spécialise "enfants – maison", tandis que l’autre se focalise plutôt sur sa carrière. Le système économique, les problèmes de garde dans la petite enfance, les congés maternité et paternité, nous incitent aussi à ça. Moi je serais pour un congé deuxième parent allongé – il l’a été un peu récemment – mais surtout obligatoire. Les hommes le prennent très peu, aussi parce qu’ils sentent que c’est mal perçu à leur travail. Si c’est obligatoire, il n’y a plus de discussion.

Le féminisme fait le printemps conférence "Le couple et l’argent" avec Titiou Lecoq, jeudi 1er juin à 18h30 à Grenoble Alpes Métropole, entrée libre

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