Le film coup de cœur / Une famille délitée fuit une catastrophe climatique aussi soudaine que meurtrière : des pluies acides rongeant tout sur leur passage. Renouant avec le sujet de son court-métrage homonyme, le réalisateur de La Nuée inscrit plus profondément sa marque dans le registre fantastique. Brûlant et brillant.
Il y a quelques mois, Michal a pété les plombs contre les forces de l'ordre intervenant dans l'entreprise qu'il occupait avec ses collègues. Depuis, il porte un bracelet électronique et vit séparé de son épouse Élise et de leur ado de fille, Selma, désormais en internat. Pourtant, lorsque des pluies d'une effroyable causticité s'abattent sur le pays, c'est vers cet ex qu'Élise se tourne pour aller chercher Selma. À nouveau ensemble, tous trois s'engagent dans un douloureux exode, durant lequel la moindre goutte, le moindre grondement de tonnerre constituent une menace...
Il serait ô combien réducteur de ranger le nouveau film de Just Philippot dans la case passe-partout du "fantastique", car le genre n'est ni une fin en soi, ni un prétexte mais un moyen, un outil au service du récit comme peuvent l'être la musique ou les effets spéciaux. Au reste, les premières minutes laisseraient presque planer le doute sur la dimension extra-ordinaire des événements présentés : un bulletin météo égraine des températures caniculaires en tout point identiques à celles que l'on a connues durant l'été (elles concernent apparemment ici un mois de mars) ; quant aux images prises au portable de l'altercation entre Michal et les pandores, elles rappellent des archives de conflits sociaux elles-mêmes réactivées par Stéphane Brizé dans ses films. En ajoutant des précipitations plus corrosives qu'à l'accoutumée, Acide ne fait que pousser le curseur d'un cran dans un contexte globalement délétère.
Orage, eau désespoir
À l'instar de La Nuée (2020) – et du court-métrage Acide (2018) qu'il avait tourné dans le cadre du programme SoFilm de genre et dont ce long homonyme constitue, davantage qu'une "dilatation", une variation, une histoire parallèle avec des protagonistes différents – Acide tient de la parabole interrogeant la solidité des liens, mettant à l'épreuve ce qui fait famille et société.
Si l'on est tenté de voir dans la menace venue du ciel une référence au Déluge biblique (en mode réactualisé à l'ère de l'anthropocène), la notion de châtiment immanent prend ici tout son sens : nombreux sont les personnages à subir illico les conséquences de leur individualisme ou d'un manque de solidarité vis-à-vis des héros en criante détresse.
Just Philippot semble par ailleurs apprécier le recours à des métaphores visuelles qu'on pourrait qualifier de lacaniennes (sont-elles inconscientes ou volontaires ?), jouant sur les associations d'images ou les symboles : la perte de membres de la famille de Michal trouve ainsi un écho très... concret ; Acide explore également les peurs primales du noir, de l'enfermement, de la séparation, de la solitude, du deuil... Son film est autant un road movie survivaliste à la The Road (2009) qu'un roman d'apprentissage pour Selma – première à se montrer concernée par l'évolution funeste de la planète.
Frappé d'un étonnant "avertissement" alors qu'il ne s'abandonne pas vraiment à la complaisance à l'occasion de ses (rares et brèves) séquences gore – en bon partisan du less is more, Philippot suggère plus qu'il ne montre –, Acide vaut aussi pour sa distribution plutôt inattendue, outre l'apparition clin d'œil de Suliane Brahim. Le couple désuni, socialement déséquilibré de surcroît, Canet/Dosch s'avère crédible ; il se trouve pourtant presque surclassé par la jeune Patience Munchenbach alias Selma irréprochable de naturel dans ses réactions et ses attitudes, fuyant l'excès. De la trempe de Noémie Merlant ; souhaitons-lui le même parcours.
★★★☆☆Acide de Just Philippot (Fr., avec avert., 1h30) avec Guillaume Canet, Laetitia Dosch, Patience Munchenbach...