Au-delà des montagnes argentées

L'artiste d'origine grenobloise Gilles Balmet compte parmi les habitués de nos colonnes… Et pour cause : sa sensibilité comme sa technique nous séduisent d'œuvre en œuvre. Après une galerie et un musée, c'est dans une librairie que l'on peut découvrir ses dernières créations. Laetitia Giry


La librairie est-elle un lieu adapté pour montrer le travail d'un artiste ? À cette question, pas de réponse péremptoire possible. D'un côté, l'œuvre n'est pas mise en valeur comme elle peut l'être sur le mur blanc immaculé d'un espace dédié comme le musée ; mais de l'autre, c'est là l'occasion d'attirer le regard d'un public différent. Et qui n'est pas friand de croiser une image inattendue, de vivre une déflagration par surprise ? C'est le parti pris de cette exposition présentant le fruit des dernières recherches de Gilles Balmet. Usant d'une technique ancienne consistant à faire se rencontrer les matières papier et peinture acrylique dans un bain d'eau, il aboutit à des formes aux allures de paysages ancestraux, des ondoiements de montagnes ou de cratères lunaires étincelants, de grottes mystérieuses ou de déserts post-apocalypse. En se fiant au hasard du bain d'eau, qu'il guide de ses mouvements avec persévérance et obstination, il donne la parole à des aléas souvent muets, laisse la peinture se déployer dans le mouvement singulier qu'est celui de la volonté de la matière.

Ô mon paysage

Ses photographies abstraites visibles dans le catalogue Somewhere here on earth réévaluaient la notion de paysage à l'aune de la rapidité, de la modernité, de l'urbanité. Aujourd'hui, ses Silver Mountains et ses Silver reliefs (obtenus en argenté sur papier noir ou papier blanc) le remodèlent comme un ailleurs, un au-delà de ce « quelque part sur terre ». Au-delà du temps ou de l'espace, au-delà de la perception... Car l'œil interprète un horizon rocailleux en relief, mais force lui est d'admettre l'incroyable onirisme qui domine. Les « cascades » sur papier blanc - résultat d'une double dilution de la peinture -, paraissent en cours de disparition. Comme la double soustraction se transforme en addition en mathématiques, elles constituent une double négation se transformant en création pure : celle d'un univers mental suggéré et terriblement émouvant. Ainsi l'artiste nous donne à ressentir une hallucination, une apparition magique déroutante, tragique car irréelle, belle car fantasmée. Ainsi il nourrit une recherche salutaire sur le langage de la peinture : de ses babillements à ses plus fulgurantes transcendances, celle-ci prouve avec panache qu'elle aura toujours son mot à dire…

Gilles Balmet, jusqu'au 15 octobre à la librairie Le Square

 


<< article précédent
Sculpteuse de corps