Louise-Michel

Après Aaltra et Avida, Gustave Kervern et Benoît Delépine reviennent avec un film furieux, hirsute, mal élevé, enragé et joyeusement anar. Salutaire, donc. Christophe Chabert

Ça commence par un sabordage en règle. Vous avez aimé le beau cinémascope noir et blanc, les plans contemplatifs et les gags chorégraphiés d’Aaltra et Avida ? Louise-Michel fout presque tout au feu. Couleurs ternes et cadres étroits, focales plates et décors déprimants : le film ne drague pas son spectateur. Et pour cause : il n’y a pas de quoi pavoiser avec cette histoire de patron voyou qui délocalise son usine dans la nuit, laissant des dizaines d’ouvrières sur le carreau. Comme un conte cruellement d’aujourd’hui, le film va orchestrer la revanche des petits sur les gros : les anciennes employées réunissent leurs indemnités pour engager un tueur afin d’aller descendre le boss ripou. Là où un scénariste trop roué aurait tiré l’argument vers la mécanique polardeuse, Kervern et Delépine choisissent une toute autre option. Il faut dire que là où la plupart des films carburent à l’eau plate et au Guronzan, Louise-Michel tourne avec de la rage et de l’alcool à 90° ingurgité cul-sec. C’est ce côté furieux qui va progressivement emporter le spectateur le long de ce road-movie cabossé où un couple impossible (Yolande «Louise» Moreau et Bouli «Michel» Lanners) remonte rien moins que la pyramide de l’économie mondialisée.

Les damnés de la terre

Tout peut entrer dans le viseur des deux cinéastes : les forts (patrons donc, mais aussi actionnaires avides de paradis fiscaux, titulaires de fonds de pension, technocrates bruxellois et néo-ruraux), mais aussi les faibles, qui ont tellement remâché leur honte qu’ils en ont perdu toute identité, sociale mais aussi sexuelle. Car derrière l’explosion d’humour noir (il vaut mieux avoir une légère sensibilité d’extrême-gauche pour apprécier le film !), les caméos délirants (Poelvoorde reconstituant le 11 septembre dans un jardin, Katerine interprétant Jésus Christ mon amour dans un bar glauque ou Dupontel en tueur serbe) et l’anarchisme post-Hara Kiri, Louise-Michel affirme une tendresse inattendue pour les déclassés et les marginaux. La violence agressive et l’envie explicite de bouffer du bourgeois laissent alors la place à une poésie déroutante où la souffrance et le mal à être au monde produisent une certaine mélancolie. Comme si la révolution espérée n’était qu’une utopie vouée à exploser en vol et dont on ne ramasse que des miettes humaines (un enfant, une fratrie ouvrière…). «On l’a fait foirer» disait Peter Fonda dans Easy Rider, un autre road-movie contestataire tourné en… 1968 !

Louise-Michel, de Gustave Kervern et Benoît Delépine (Fr, 1h35) avec Yolande Moreau, Bouli Lanners…

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