Élève libre

L’éducation scolaire et sexuelle d’un adolescent par un trio de quadras aux intentions opaques : signé Joachim Lafosse, le film le plus troublant et gonflé de ce début d’année. Christophe Chabert

Ça s’appelle un grand écart : après l’exaspérant Nue propriété, Joachim Lafosse crée la surprise avec Élève libre. En apparence pourtant, le cinéaste continue sur sa lancée : figure centrale d’adolescent paumé, absence de musique et goût du plan-séquence poussé à l’extrême. Mais là où Nue propriété tentait de dramatiser le vide et l’ennui, Élève libre est une œuvre basée sur un crescendo romanesque aussi discret qu’essentiel. Jonas loupe son année scolaire et échoue à intégrer le circuit du tennis pro. Si ses parents (séparés) n’ont pas l’air de s’émouvoir de son sort, trois quadragénaires (un couple et un homme seul) dont on ignorera jusqu’au bout comment ils sont entrés dans sa vie, pensent qu’il y a quelque chose à faire de Jonas. Pierre notamment (Jonathan Zaccaï, énorme) va lui donner des cours particuliers dans toutes les matières pour qu’il décroche une équivalence du BEPC.

Diplôme de langues

Au détour d’une des nombreuses conversations à table entre les quatre personnages, la parole glisse abruptement vers la vie sentimentale de Jonas. Il a une copine, aussi jeune et inexpérimentée que lui, et cette situation intéresse de près ses nouveaux amis. Peu à peu, cette ingérence verbale dans les compétences sexuelles de Jonas va virer aux travaux pratiques. Lafosse met en scène cette initiation comme s’il tournait un film à suspense : la tension qui circule dans les plans et provoque le malaise chez le spectateur est distillée par une attention permanente aux gestes et aux détails (cris proches de l’orgasme des tennismen, séance de déshabillage après une soirée arrosée). Y a-t-il un but caché à cette éducation sexuelle, ou ce couple libéré et ce tenant de la pensée par soi-même officient-ils seulement au nom des grandes idées qu’ils défendent ? C’est là où Élève libre, en plus de sa maestria formelle (qui rappelle qu’on peut faire du cinéma passionnant sans tomber dans le surdécoupage et le montage hystérique), est vraiment un film gonflé. Lafosse crée un laïus définitif entre les discours et les désirs de ses personnages, montrant que l’égoïsme se cache sous le masque de l’altruisme, que le besoin de domination trouve dans le vocabulaire de la libération son arme la plus perfide. Le philosophe se fait sophiste, et le socratisme de Pierre se révèle pure rhétorique manipulatrice. Ultime pied de nez : d’une phrase cinglante, l’élève dépassera le maître dans cet art du dialogue à sens unique. L’exercice a été profitable, pour lui et surtout pour nous !

Élève libre
De Joachim Lafosse (Fr-Belg, 1h45) avec Jonas Bloquet, Jonathan Zaccaï…

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