The Housemaid

Sur un argument tiré d’un célèbre mélodrame coréen, Im Sang-soo signe une satire sociale féroce, somptueusement mise en scène. Christophe Chabert

Une nuit ordinaire dans les rues de Séoul. Le bruit de la circulation ; les néons des restaurants où quelques coréens solitaires s’empiffrent ; et, au milieu de tout ça, une femme qui grimpe sur le rebord de sa fenêtre et se jette dans le vide. C’est l’introduction de The Housemaid : fiévreuse, retranscrite avec des éclats de plans furieux par Im Sang-soo, le plus discret des grands cinéastes sud-coréens actuels. Le plus politique, aussi. Chacun de ses films est une radioscopie de l’histoire contemporaine de son pays, tantôt romanesque (Le Vieux jardin), tantôt littérale (The President’s last bang). The Housemaid n’échappe pas à la règle. Passée cette ouverture chaotique, c’est à un cruel opéra social qu’il nous invite, baroque dans sa forme, rageur dans son propos. On y voit une jeune fille, Euny (Jeon Do-yeon, excellente actrice révélée par Secret sunshine), qui trouve un petit boulot de femme de ménage dans une grande famille de parvenus. Le mari est un businessman beau comme un Dieu grec ; l’épouse, enceinte, se prélasse dans l’oisiveté ; et l’ancienne gouvernante, plus pète-sec qu’un fan de Lionel Jospin, méprisante et envieuse, semble connaître par c(h)œur (antique) la règle du jeu dont Euny va être l’objet.

Corps à corps social

La petite boniche naïve devient naturellement la maîtresse du mari, ce qui permet au passage à Im Sang-soo de signer une des plus saisissantes scènes de sexe qu’il nous ait été donné de voir, la caméra ne filmant que de très gros plans sensuels sur les deux corps nus. Non seulement cette relation n’ira pas au-delà du cliché — le bourgeois infidèle qui se tape en douce son employée, mais quand la liaison sera découverte, Euny fera une victime idéale pour reconfigurer les rapports de domination à l’intérieur de la famille, belle-mère odieuse incluse. Le talent du cinéaste consiste à pointer par sa mise en scène cette incapacité d’un corps social étranger à intégrer ce monde régi par l’argent et la violence morale. Emblématiquement lors d’une séquence extraordinaire, elle aura le droit de se baigner dans la piscine de ses maîtres, mais ne pourra pas entrer avec eux pour se sécher au chaud. Le film pointe toutes les limites qu’Euny n’a pas le droit de franchir, son espace se réduisant en cours de route à une peau de chagrin qu’un feu salvateur et sacrificiel finira par réduire en poussière. The Housemaid est traversé par une ironie féroce, un regard d’une noirceur d’autant plus glaçante qu’il s’épanouit dans une photo et des mouvements d’appareil magnifiques. Du remake d’un mélo populaire des années 50, Im Sang-soo a fait la plus terrible des farces sur une lutte des classes aux perdants désignés.

The Housemaid
D’Im Sang-soo (Corée du Sud, 1h47) avec Jeon Do-yeon, Lee Jung-jae…

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