Comme le phénix de ses cendres

L’espace Vallès vise juste avec cette double exposition consacrée à la perception de l’image, et à son appropriation par des artistes radicalement différents. A voir, vraiment. Laetitia Giry

Au rez-de-chaussée, les gigantesques peintures de James Granjon saisissent le visiteur sans lui poser poliment la question. Elles ne le prennent pas par la main mais s’imposent à lui dans une explosion de tâches et de couleurs. C’est qu’elles ont un message à faire passer : l’image qu’elles représentent a été déconstruite, détruite pour être recomposée sur un mode faussement désinvolte, sauvage et relativement violent, mais calculé. Les immenses visages qui nous scrutent refusent d’être plus longtemps la photo retouchée de la première page d’un magazine, revendiquant par les coups de pinceau de l’artiste une autorisation d’être, simplement : imparfaits mais puissants. Un élan vital qui se précise avec une finesse sans pareille dans le deuxième volet de l’exposition : à l’étage, dans une alternance très réussie de murs blancs et jaunes pétants, où attendent, impassibles, les portraits de Jean-Frédéric Coviaux.Au crépuscule
Si ses menus portraits exposés à la galerie Ka & Nao l’automne dernier séduisaient par une étrange et familière attraction, ils le faisaient malgré un aspect rêche et froid, passablement repoussant. La série « L’anabase » présentée ici prouve le tact et le goût de l’artiste, poussant à croire qu’il est sans doute maître de quelque magie ancestrale. Inspiré de daguerréotypes (vestiges des premiers pas de la photographie), chaque portrait se tient là, dans un agrandissement démesuré par rapport à son modèle. On pense aux camés, aux vieilles photos – autant d’ouvertures sur un passé ne délivrant ses images qu’avec une parcimonie frustrante pour les hyper consommateurs que le siècle dernier a fait de nous. Encre sur papier : telle est la formule purement pratique de ces portraits. Une encre brune marquée de lueurs violettes et rosées mimant la carnation tout en feignant le vieillissement de l’objet. L’image semble éclore de la matière papier en métamorphose, elle pourrait tout aussi bien être un voile déposé, flottant à la frontière de la vision à la manière d’une apparition, fantomatique et scintillante. Ce paradoxe est celui de l’incarnation d’une mélancolie résolue, désabusée et dépassée, surpassée même par la délicatesse incrustée des motifs nés du geste du peintre, lequel se joue avec une aisance déroutante des mouvements aléatoires de l’eau pour ressusciter des fantômes d’encre. Ou la mort comme un fondamental, s’ornant de la vitalité artistique pour seulement renaître dans le regard perdu et hagard du spectateur étourdi.James Granjon / Jean-Frédéric Coviaux
Jusqu’au 26 février à l’Espace Vallès.

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