Voyage au bout d'Huppert

Quand la plus grande actrice de sa génération se confronte au rôle mythique de Blanche DuBois écrit par Tennessee William, le rendu est forcément explosif… mais néanmoins contestable. Qu’importe, l’ouragan Isabelle Huppert emporte tout sur son passage.

Fin février dernier à Paris, au théâtre de l’Odéon. Après trois semaines de représentations se soldant par quelques huées (si l’on en croit les différents articles de presse de l’époque), la tension est retombée. La salle se fait attentive pour découvrir ce fameux Tramway dont on a tant parlé. Et surtout pour contempler Isabelle Huppert, artiste française à l’aura incroyable, comme on peut aisément le constater dès les premières minutes de la pièce.

Une pièce entièrement centrée autour de son personnage : Huppert est de toutes les scènes, dominant le reste de la distribution de sa stature incontestable. Une différence de traitement et d’approche qui se matérialise crûment au moment du salut final : alors que l’ensemble des comédiens, tout sourire, se donne la main chaleureusement pour s’incliner devant le public, elle reste stoïque, au centre, sans se lier physiquement à ses partenaires. Cette attitude, entre détachement et condescendance, fait partie du mystère Huppert, actrice hypnotique difficilement cernable qui ne souhaite s’exprimer qu’à travers son art.

Extraterrestre

Isabelle Huppert est une héroïne à part dans le paysage cinématographique français contemporain. Moins théâtrale qu’une Isabelle Adjani, moins sophistiquée qu’une Emmanuelle Béart, moins accessible qu’une Nathalie Baye. Mais littéralement (plus) vivante à l’écran, dans des rôles souvent durs : un choix de carrière atypique qui la classe d’emblée dans la catégorie des interprètes jusqu'au-boutistes qui donnent l’impression de vivre chaque projet comme si c’était le dernier. Ainsi, elle apparaît aujourd’hui comme la plus grande actrice de sa génération, et l’une des plus grandes tout court, toutes époques confondues. Elle a la classe d’une Jeanne Moreau, le charisme d’une Simone Signoret, le mystère d’une Romy Schneider.

Elle débuta au cinéma en interprétant des adolescentes tourmentées, devant la caméra de Companeez, Blier ou encore Boisset. Mais c’est Claude Chabrol qui l’imposa en 1978 avec Violette Nozière, prix d’interprétation à Cannes – elle en recevra un second pour La Pianiste de Michael Haneke (ce qui fait d’elle la seule Française a avoir réalisé le doublé). S’en suivra une carrière nationale et internationale dictée par le goût du risque et l’envie de ne jamais tomber dans la facilité. Les rôles qu’elle choisit sont souvent organiques et austères : des personnages en perpétuelle tension, au travers desquels elle impose un jeu brut, physique, marqué. Elle avait donc tout pour être la Blanche DuBois de Tennessee William, femme tourmentée par son désir envers un homme qu’elle exècre, et qui sombrera irrémédiablement vers une déchéance attendue.

Mourir en Saint Laurent

C'est indéniable, Isabelle Huppert illumine bel et bien ce Tramway. On n’a d’yeux que pour elle, cette Blanche DuBois à la fragilité arrogante. Auparavant, Vivien Leigh en avait livré sa version dans le film de Kazan, à côté d’un Marlon Brando physique au possible. Dans la pièce de Krzysztof Warlikowski, les rôles sont distribués autrement : Blanche est la pièce maîtresse du récit, celle par qui tout arrive, les autres personnages (dont Stanley) ne semblant rien contrôler.

Est-ce une raison pour en faire autant ? Car sur scène, Huppert est plus proche de la performance que de l’interprétation. Elle qui fut l’élève d’Antoine Vitez et travailla entre autres avec le perfectionniste Claude Régy (qui impose à ses comédiens un jeu tout en retenue) se voit ici contrainte d’en faire des caisses : "regardez comme je sais bien jouer la folle. Et là, vous avez vu, j’ai vraiment l’air mal, hein ?! ". 2h45 durant, on suit le calvaire d’une Blanche DuBois en robes Dior et Saint Laurent, entre réprobation et fascination. Car malgré une prestation appuyée et discutable, si l’on n’avait pas Isabelle Huppert face à nous, ce Tramway se transformerait en une proposition bien fade qu’on aurait oubliée en deux secondes. Là, dix mois après, l’image d’Isabelle Huppert au bord du gouffre reste encore en nous, avec force.

Un tramway
Du jeudi 2 au jeudi 9 décembre, à la MC2.

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