Scénariste, président du collectif L'Épicerie Séquentielle, co-fondateur de La Revue dessinée, membre actif du Syndicat des auteurs de BD et professeur à Émile Cohl, Olivier Jouvray est un peu le parrain du 9e art à la Lyonnaise. A Lyon BD, il crée l'événement en lançant le journal "Les Rues de Lyon", soit la ville racontée par ceux qui tentent d'y vivre de leur dessin.Propos recueillis par Benjamin Mialot
Raconter la ville en bande dessinée. Où êtes-vous allé chercher cette idée ?
Olivier Jouvray : En festival, j'ai rencontré de gens qui auto-éditaient des BD sur le patrimoine. Ce n'était pas toujours de bonne qualité, mais ils gagnaient deux à trois fois mieux leur vie que moi (rires).
Plus sérieusement, j'ai trouvé étonnant que la BD de proximité soit totalement abandonnée à ceux qui n'ont pas les capacités techniques pour être publiés par des éditeurs. Les institutions ont du mal à trouver des relais locaux quand elles veulent travailler ce médium, et quand elles en trouvent, ils ne sont pas forcément formés à ce type de BD, qui demande une expérience qui s'approche de celle de documentariste ou de journaliste.
L'autre élément, qui est plus de l'ordre du militantisme, c'est que cela fait six ans que les ventes de BD baissent, que les prix augmentent pour compenser la baisse du chiffre d'affaires, que la surproduction est galopante... Le milieu ne va pas bien. Certains éditeurs ont même déclaré que nous devions trouver un deuxième métier pour survivre... Ça m'a un petit peu mis les abeilles (rires). Je me suis dit :«D'accord, on va faire un second métier, mais ce sera encore de la BD et ce sera en circuit court, directement avec les libraires et les lecteurs.»
Le dessin est une langue, et c'est certainement la seule que tout le monde a essayé de parler un jour. On a tous un rapport affectif au dessin qui le rend moins effrayant qu'un pavé de texte.
Les premiers numéros s'intéressent à l'histoire ancienne de Lyon. C'est une approche qu'on n'attend pas de la part de jeunes dessinateurs dynamiques...
(rires) Je suis tombé sur un bouquin écrit par l'oncle de ma femme où il raconte des histoires liées aux rues de Lyon. J'ai découvert des anecdotes incroyables dont j'ignorais l'existence. C'est un bon moyen de démarrer, même si on va par la suite proposer des sujets plus contemporains.
L'important, c'est comment on raconte ces histoires. On fait un vrai travail de mise en scène pour le faire de manière drôle et détendue. On ne fait pas un cours, même si notre démarche est pédagogique. C'est d'abord permettre aux auteurs de se réapproprier leur métier. On fait imprimer sur Lyon, ça nous coûte plus cher, mais on a besoin de réapprendre ce que c'est que les métiers du livre. Mais cela va plus loin.
Avec mon frère, on est profs à Émile Cohl et, sur suggestion de la direction, on fait travailler les élèves en dernière année sur des sujets qui ne sont pas de la fiction. Cela facilite leur transition vers le milieu professionnel et me permet aussi de former des auteurs à ce type de BD, qui consiste à mettre son langage graphique au service d'un propos qui n'est pas le sien.
Justement, en quoi ce langage est-il légitime pour parler du réel ?
La BD, c'est subjectif. Il n'y a pas de procédé mécanique, comme pour la vidéo et la photographie, qui se présentent sous une devanture d'objectivité. C'est de la reconstitution et cela installe un rapport de confiance entre l'auteur et le lecteur. Ce dernier ne peut se fier qu'à la sincérité de l'auteur. Il sait que c'est une vision personnelle et que s'il veut s'approcher d'une vérité, il faudra qu'il multiplie les points de vue. Alors que ce qui est montré dans les médias traditionnels l'est comme une vérité révélée. C'est un rapport à l'information bizarre.
Deuxième chose : les possibilités narratives sont énormes. Le dessin est une langue, et c'est certainement la seule que tout le monde a essayé de parler un jour. On a tous un rapport affectif au dessin qui le rend moins effrayant qu'un pavé de texte.
Enfin, si je lis un reportage ou une histoire en BD et que six mois après je veux en retrouver un élément, c'est plus facile qu'avec un grand reportage écrit. L'image joue le rôle de procédé mnémotechnique. C'est une information qui reste dans le temps.
Dans l'activité culturelle, l'acte gratuit est primordial. La culture, sans l'acte gratuit, ne peut pas durer, parce qu'elle porte des valeurs de partage des connaissances, d'élévation mutuelle.
Au contraire d'une information dématérialisée...
C'est la réflexion qu'on a eue avec La Revue dessinée. Quand on achète un livre, on n'achète pas le contenu. Le contenu est gratuit, sinon on n'aurait pas de bibliothèque. Quand on achète un livre, on achète l'objet, parce que c'est un objet qui est sacré, en dehors de toute croyance et spiritualité. C'est le gardien de la connaissance.
Les fichiers numériques ont une très faible durée de vie. Regardez ceux sur vos ordinateurs. Les plus anciens ont 5-6 ans, on a changé de matériel, c'est pas classé... Le numérique, c'est de l'éphémère. Ça n'a aucune valeur.
Quelle que soit la culture, on a besoin d'un objet. Quand on aime la musique, on a besoin d'un concert, d'un vinyle, d'un badge, n'importe quoi, pour concrétiser le rapport affectif qu'on a avec elle. Ma bibliothèque, c'est mon mur Facebook. Regarde ce que je lis et tu sauras qui je suis.
Ce militantisme s'exprime jusque dans votre structuration en collectif via L'Épicerie Séquentielle, qui date de 2004, soit bien avant que ce mode d'organisation soit en vogue...
Au départ, c'était un groupe de copains qui s'entendaient bien et voulaient aller contre cette image poussiéreuse de l'auteur seul dans sa tour d'Ivoire. Puis c'est devenu un engagement. Quand on crée ce genre de groupe, on peut très vite tomber dans l'entrisme. Notre militantisme a été de se dire que n'importe quel auteur pouvait nous rejoindre.
On n'a pas voulu créer un mouvement artistique. Le but était de se retrouver autour d'une bière et d'un bol de chips et d'apprendre à se connaître pour faire des trucs ensemble. Le festival Lyon BD est né un an après et ses organisateurs ont eu l'intelligence rare de venir nous demander de l'aide. Et puis ça a grossi au point qu'il fallait que ça devienne constructif.
Être artiste, c'est un chemin d'humilité. C'est "d'abord je fais mon numéro, et après je tends mon chapeau". On a replacé cela dans notre démarche. Dans l'activité culturelle, l'acte gratuit est primordial. La culture, sans l'acte gratuit, ne peut pas durer, parce qu'elle porte des valeurs de partage des connaissances, d'élévation mutuelle. Quand j'ai travaillé par le passé avec des structures d'aide à la création d'entreprise, on m'a rappelé régulièrement que l'objectif premier d'une entreprise est de faire de l'argent. Ça me fout des frissons d'horreur. Si je me lance dans une activité, c'est parce que ça m'éclate et que ça m'enrichit humainement.Le pognon n'est qu'une conséquence.
Les Rues de Lyon se dévoilent
Au Palais du commerce samedi 13 juin à 11h