Festival / Le merveilleux Campana arrive enfin à Lyon : cette création du cirque Trottola explore le tréfond de l'humanité et le porte au sommet avec la trapéziste Titoune. Deux musiciens et l'exceptionnel clown Bonaventure Gacon forment avec elle ce quatuor qui plante son chapiteau durant tout juillet à Lacroix-Laval dans le cadre des Nuits de Fourvière.
Les Nuits de Fourvière réinvestissent cette aire de jeu de Lacroix-Laval explorée pour la première fois en 2015, soit un an avant que les Bêtes de Foire d'Elsa de Witte et Laurent Cabrol (anciens compagnons de route des Cirques Plume et Romanès) s'invitent en 2016. Ils reviennent avec le même spectacle, accessible aux enfants, touchante traversée du décor avec pour objet ou agrès une machine à coudre, des tissus... Les manipulations sont à vue, leur chien fait l'acteur. Le duo cherche à ralentir le rythme à l'inverse de la surenchère des grands barnums, mais il se passe toujours quelque chose sous leur toile.
Yann Frisch abandonne lui ses cartes et revient aux Nuits avec sa dernière création, très fraîche, ambitieuse, sur la transformation. Personne est une ode aux pouvoirs archaïques du théâtre. Déjà dans son premier spectacle qui nous avait tant séduit, Le Syndrome de Cassandre, il s'intéressait à ce pouvoir. Dans son camion-théâtre déplié pour 80 spectateurs, il joue de façon encore fragile avec perruques, batterie de costumes et de masques, trappes, intrus imaginaires mais celui qui s'est fait connaitre par ses tours de bonimenteur (Baltass) creuse à coup sûr un sillon très singulier avec sa compagnie L'Absente.
Des chapiteaux au cube
Et il y a Campana. Dans cette pièce-là, on retrouve les mots de Jean-Loup Dabadie et Serge Reggiani. Il pourrait y avoir tous ceux de Beckett. Cette création est aux antipodes de l'entertainment à la québecoise sans être dénué de spectacle — nous sommes bel et bien au cirque avec ses codes (une piste, un chapiteau, une arène de spectateurs) et ses artistes (un clown, une trapéziste, deux musiciens).
Au commencement, dans Campana, un homme un peu bourru et une brindille sortent des dessous de scène au son d'une cloche ("campana" en italien) puis sont avalés et recrachés dans un bruit d'orage assourdissant. Au centre ce n'est pas une simple scène, c'est un cœur qui bat, qui bout, celui de la Terre, de ses entrailles aussi accueillantes que malveillantes.
D'emblée surgit de ce travail quelque chose de sanguin et remuant. Titoune et Bonaventure Gacon réinventent un rapport physique au cirque. Ils font de cette toile une cathédrale païenne, de celle qui s'ouvre aux douleurs du monde pour souffler sur les plaies et tenter de les cicatriser. Le clown prend la parole pour quelques mots parfois, il joue avec sa partenaire dont le corps se contorsionne autant que le sien semble emprunté. Mais tous deux, avec leurs différences burlesques, se comprennent. Mieux, ils dialoguent avec leurs moyens.
Tout est artisanal. Ils maîtrisent à merveille les portés, en inventent de nouvelles formes, se saisissent par toutes les parties de leur corps. Le cirque est la base de leur langage. Titoune virevolte, se lance avec une agilité et une précision extrêmes, tout en haut de ce chapiteau pendant qu'au sol Bonaventure Gacon accomplit des gestes qui peuvent requérir de la force : pousse une brouette, se jouer d'échelles... Le spectacle est fait de petits riens, ne cherche pas à faire récit et pour autant se tisse un univers qui ne cesse de s'agrandir.
Dans ce cercle, il incarne un clown solitaire et triste, en prise à la nostalgie, le maquillage accentue la figure du paumé, mais ce n'est pas un homme complètement à la marge qui se dessine, il s'agit plutôt d'un angle décalé sur ce qui peut être considéré comme la marge ou la normalité. Campana détricote les idées pré-pensées. Et qu'y a-t-il sous la piste ? Il semble que ça grouille, qu'à l'image de ces deux-là qui ont pu s'échapper, d'autres y sont prisonniers ou s'y réfugient (sont- ils migrants, précaires, Résistants ?). Ils attendent leur heure. Le temps est la clé de voûte de Campana jusqu'au point d'orgue d'un final inouï qu'il faut absolument taire et qui précisément requiert de longues minutes pour se mettre en place.
Les Nuits font leur cirque
Au Domaine de Lacroix-Laval (Rhône) dans le cadre de Nuits de Fourvière du lundi 4 au vendredi 22 juillet