Littérature / Travailler son mélanome c'est bien, le faire en lisant, c'est mieux. Cet été sur la plage vous ne serez pas seuls mais emmènerez entre autres Céline, Oppenheimer, Œdipe, un scénariste culte, Lyon, un dream teamer ou Marco Van Basten.
Guerre de Louis-Ferdinand Céline (Gallimard)
On peut penser ce qu'on veut de ces entreprises éditoriales consistant à exhumer les manuscrits inachevés des stars de la littérature – il n'y a pas si longtemps avec les fameux Soixante quinze feuillets de Proust – et n'y voir que cynisme et appât du gain. Mais n'oublions pas que sans ce genre d'initiatives parfois exécutées contre la volonté de l'auteur, on n'aurait jamais connu Kafka – merci Max Brod. Et que bien souvent les œuvres délivrées de l'oubli ont un intérêt historique considérable quand elle ne sont pas un régal littéraire. C'est bien le cas de cette édition scrupuleuse de Guerre, signé Céline, l'un de ses écrits à coupler avec Voyage au bout de la Nuit – il s'agit d'un nouveau récit de la Grande guerre mettant en scène le pauvre Ferdinand : salement blessé, il se retrouve à errer sur les champs de bataille avant d'être hospitalisé et évacué vers l'Angleterre, avec les péripéties et les réflexions existentielles qui vont avec. Il s'agit d'un premier jet retravaillé par l'éditeur mais on y retrouve la verve et la langue si inventive et émouvante de l'auteur dont le dernier paragraphe vaut à lui seul le détour. Inratable.
Vivre vite de Brigitte Giraud (Flammarion)
C'est une lecture pour la toute fin de l'été car la chose est publiée le 24 août avec le wagon des sorties estampillées rentrée littéraire. Mais un nouveau Brigitte Giraud ça n'attend pas. D'autant que Vivre vite est un bloc d'émotion pur. Plus de vingt ans après À Présent, où elle abordait déjà ce douloureux sujet, l'autrice revient sur le décès de son compagnon, dans un accident de moto en 1999. Et s'y livre à une enquête parcourant le faisceau de causalités qui auraient mené à l'accident – à commencer par l'achat de leur maison –, à un gigantesque « Et si... » qui charrie tout autant le poids du hasard à conjurer que de la culpabilité. Il y a quelque chose qui n'en finit pas de frapper à la lecture de Brigitte Giraud, c'est ce sens de l'épure, cette justesse absolue des mots et du ton, cette manière de frapper au cœur sans jamais en rajouter, cette précision d'orfèvre, cette manière de décortiquer l'âme avec une grande douceur, dont Vivre vite est un condensé puissant.
Quelque chose à te dire de Carole Fives (Gallimard)
Elsa Feuillet (on notera le nom) est une jeune écrivaine qui tente, comme tous les auteurs, finalement, de suivre les traces de son idole et modèle, une autre écrivaine, grande écrivaine, plus précisément, qui vient de disparaître. Une écrivaine autant qu'un fantasme qui aux yeux de la jeune autrice incarne une sorte d'idéal de réussite littéraire et de ce petit quelque chose qu'ont certains animaux sociaux à qui tout réussit. Lorsque Elsa finit par rencontrer le veuf de l'autrice adulée, non seulement elle noue avec lui une idylle mais en plus se glisse petit à petit dans la vie tant rêvée de l'idole, explorant son appartement et y trouvant ce qu'elle n'aurait peut-être pas dû – on s'arrête là. Après plusieurs ouvrages à caractère plus autobiographiques, Carole Fives livre ici un thriller littéraire déroutant où brille toujours autant son sens du dialogue. Un livre de la rentrée également, à anticiper dès le 18 août.
Ils ont tué Oppenheimer de Virginie Ollagnier (Anne Carrière)
Bon, il y a peut-être d'autres moments que les vacances d'été pour lire un roman traitant du "père de la bombe atomique". Mais Robert Oppenheimer est peut-être un peu plus que le directeur du "projet Manhattan". Un homme dont la vocation première est née de sa volonté de contribuer à lutter contre le nazisme et qui, loin d'être un va-t-en-guerre, en s'opposant au développement d'armes thermonucléaires finit par être discrédité par le gouvernement américain au moment de l'hystérie maccarthyste, avant d'être réhabilité une décennie plus tard. L'autrice lyonnaise Virginie Ollagnier fait, c'est la grâce de la littérature, du "Doctor Atomic" un véritable héros romanesque que même ses amis finirent par trahir au nom de l'idéologie. Et de son livre un thriller qu'on ne lâche plus.
Ceux du noir de Marielle Hubert (P.O.L.)
C'est à la suite d'une expérience quelque peu traumatique dans l'enfance – alors qu'elle est âgée de huit ans, un camarade l'entraîne dans une grotte ornée et l'abandonne dans le noir – que l'autrice lyonnaise Marielle Hubert a écrit Ceux du noir. Une sorte de pas de deux entre une petite fille et un garçon à peine plus âgé (8 et 11 ans). Elle se perd dans une grotte des Causses du Quercy lors d'une visite guidée estivale avec ses parents, il tente de la retrouver. Ils ne se rencontrent pas mais d'une certaine manière se parlent, dialoguent d'un chapitre à l'autre, et se "retrouvent" sur un désir commun. Celui de sortir, non pas seulement de cette grotte qui leur offre l'expérience inédite du noir absolu, mais du tunnel de l'enfance dont l'immobilité semble les désespérer, avide qu'ils sont de découvrir les grandes aventures de l'humanité. Un livre de l'été qui règle de sérieux comptes avec la nostalgie quasi obligatoire de l'enfance.
Antkind de Charlie Kaufman (Editions du sous-sol)
Voilà un livre à ne pas mettre en toutes les mains, le pavé est conséquent (800 pages et des brouettes) et pourrait facilement glisser des mains. Il s'adresse même à deux uniques catégories de lecteurs : les amateurs des scénarios alambiqués de Charlie Kaufman (Dans la peau de John Malkovich, Eternal sunshine of the spotless mind, Synecdoque New-York, Adaptation...) et les férus de méta-roman. À vrai dire, on n'en attendait pas moins de Kaufman que d'entrer en littérature en gravissant sa face méta-romanesque et/ou post-moderne, se frottant par là à quelques géants du genre : de Mark Danielewski et sa Maison des Feuilles, auquel Antkind est beaucoup comparé, à William H. Gass (Le Tunnel) en passant par Gilbert Sorrentino (Salmigondis). Soit l'histoire, compliquée à résumer, d'un critique ciné dégoûté par notre époque gangrenée par les réseaux sociaux, qui entreprend d'écrire un livre sur un film inédit d'une durée de trois mois (!), film qui disparaît dans un incendie et que le héros va tenter de recréer. Un mindfuck de haute volée aux élans kafkaïens – traduit par l'inévitable cannibale du clavier Claro – que Kaufman a voulu inadaptable au cinéma. Vous y passerez l'été sans aucun doute.
Oedipe n'est pas coupable de Pierre Bayard (Minuit – coll. Paradoxe)
Il est joueur ce Pierre Bayard. Pas toujours facile à suivre mais joueur. Après nous avoir appris à parler des livres qu'on n'a pas lu, des faits qui ne se sont pas produits et des lieux où l'on n'est pas allés, après avoir étudié la prescience des auteurs de fiction (Le Titanic fera naufrage) ou refait l'enquête d'Ils étaient dix, le professeur de littérature et psychanalyste nous invite dans un nouveau jeu de piste – où le psychanalyste a d'ailleurs la part aussi belle que le spécialiste des lettres. Il s'agit ici d'ouvrir l'enquête sur le mythe d'Œdipe pour démontrer que celui-ci est innocent des crimes dont on l'accuse depuis des millénaires (d'avoir tué son père et couché avec sa mère, autrement dit). Bayard y reprend un à un tous les éléments du mythe dans ses différentes versions et nous bluffe une fois de plus tout en n'oubliant jamais de faire rire, pour démonter la croyance populaire brique par brique. Un magnifique Cluedo pour les amateurs de polars et de nœuds freudiens perdus sur la plage.
Les Miscellanées des Lyonnais de François Mailhes, Cyrille Piot & Jean-Louis Rapini (Éditions du Poutan)
Depuis les Miscellanées de Mr Schott – que Ben Schott a ensuite déclinées en Miscellanées sportives et Miscellanées culinaires, ce genre d'ouvrages visant à réunir des informations diverses et variées de manière aléatoire, a fleuri dans le monde de l'édition, livrant des recueils toujours intéressants à picorer quand on a cinq minutes – par exemple aux toilettes. Pour les Lyonnais emplagés quelque part cet été et nostalgiques de leur ville, ou pour les touristes avides de tout savoir sur la Capitale des Gaules, il y aura donc toujours la solution d'emmener un délicieux livret titré Les Miscellanées des Lyonnais où bien sûr vous en apprendrez davantage sur les plats locaux, sur les bizarreries lyonnaises (le fameux "immeuble aux 365 fenêtres" de la Croix-Rousse en compte en réalité 368), sur la liste des entraîneurs de l'OL et toutes ces sortes de choses. En tout, 306 anecdotes en 300 pages qui en apprendront aux plus savants et démonteront quelques idées reçues et légendes urbaines.
Basta, ma vie, ma vérité de Marco Van Basten (Solar)
Il y a pile trente ans, Marco Van Basten remportait son troisième et dernier Ballon d'Or, entrant par là dans le cercle très fermé des joueurs en ayant remporté au moins trois, aux côtés de son idole Johan Cruyff et de Michel Platini (depuis Messi et Ronaldo ont explosé le compteur). Pour fêter cet anniversaire, à moins que ce ne soit un hasard, le footballeur néerlandais publie en français son autobiographie. Un livre plutôt surprenant de la part d'un sportif. Car Van Basten s'y livre sans fard (le titre est nul mais il dit tout), inspiré qu'il fut par la bio d'André Agassi qui l'avait beaucoup marqué – dans laquelle le tennisman avouait notamment avoir joué des Grand Chelem avec une perruque, ce qui avait fait grand bruit. Du traumatisme vécu enfant – son meilleur ami s'est noyé sous ses yeux – aux douleurs insoutenables qui mettront prématurément fin à sa carrière à 27 ans à cause d'une cheville mal soignée, on apprend beaucoup sur celui qui fut l'un des joueurs les plus classieux de l'histoire, auteur d'un but extraterrestre en finale de l'Euro 88 face à l'URSS.
Libéré de Scottie Pippen (Hugo Sport)
Suite à la diffusion de The Last Dance, il y a deux ans, documentaire événement sur le Dieu Michael Jordan produit par l'intéressé, nombre de ses coéquipiers ont développé un seum international – parce que Dieu y a un peu tendance à tirer la couverture à lui et à minimiser le rôle de ses partenaires. À commencer par ses deux principaux sidekicks de la première ère, Horace Grant et surtout Scottie Pippen qui fut un temps, il faut bien le dire, le meilleur joueur du monde hors Jordan. Au point que ce discret en a nourri le désir de raconter sa version de l'histoire – et plus largement de la sienne qui n'est pas piquée des hannetons entre une enfance aussi heureuse que misérable dans l'Arkansas et une carrière de basketteur qui s'est bâtie à la force du poignet contre mille adversités – il n'était vraiment pas pressenti pour passer pro – pour finir sur le toit du monde avec la Dream Team de Barcelone et six titres de champions NBA dans une équipe, les Chicago Bulls qui l'a toujours un peu méprisé. Libéré, délivré, le Scottie.