Clément Cogitore  : « confronter mon imaginaire à l'espace urbain »

Goutte d'Or
Par Thomas Bidegain, Clément Cogitore Avec Karim Leklou, Malik Zidi, Yilin Yang

Goutte d'Or / Un faux médium du quartier parisien cosmopolite de la Goutte-d’or le devient mystérieusement alors qu’une bande d’enfants venus de Tanger sème le désordre dans les rues… C’est le point de départ du nouveau film de Clément Cogitore, cinéaste mais aussi artiste contemporain multimédia présent lors de la dernière Biennale de Lyon. Rencontre.

Vous êtes habitué aux “territoires étrangers” ; cela a-t-il changé quelque chose pour vous de tourner à Paris ?
Clément Cogitore : C'est un quartier que je connais bien, dans lequel j'ai vécu, par lequel je suis arrivé à Paris comme jeune adulte ou étudiant, avec un ami en voiture. On était entré par la porte de Clignancourt, on avait traversé tout le Nord, la Goutte d’Or… Le quartier m’avait immédiatement séduit et attiré. J’y ai très vite vécu.

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Mon premier long-métrage, je l’avais tourné au Maroc dans l’Atlas, après j'ai fait un documentaire en Sibérie et pas mal de projets plutôt art contemporain assez loin dans le monde — dans le cercle polaire, en Méditerranée… L'idée ici c'était de me retrouver en bas chez moi, dans un lieu que je connais bien et de confronter mon imaginaire à l'espace urbain pour voir ce qui peut en sortir. L’idée était autant liée au personnage qu’à cette confrontation. Donc évidemment il y a ce jeu étrange entre ce que l’on croit connaître au début et ce que l'on ne connaît pas si bien. Et en fait, on en connaît plus que ce qu'on pense — j'aime beaucoup ce moment un peu balançant entre ce qui est de l’ordre du semblable et de l’altérité : il y a toujours un jeu de tension entre croire connaître les choses, entre ce que semble être l’autre et qui est en fait beaucoup plus proche.

Perceviez-vous déjà le potentiel fantastique de la Goutte-d‘or lorsque vous y êtes arrivé la première fois ?
Ah non. C'est quelque chose qui tient beaucoup plus à mon désir de raconter ou à ma conception d’intégrer de l'irrationnel dans quelque chose qui s'apparente à une forme documentaire quasi naturaliste, une dimension très romanesque (comme dans Ni le ciel ni la terre). Mon cinéma est plutôt du genre fantastique ; en littérature j'étais très nourri de réalisme magique, où tout d'un coup un élément vient perturber le pacte de croyance et fait que tout d'un coup on ne sait pas si c’est une hallucination, une vue de l’esprit. Ça m’intéressait beaucoup sur ce film-là.

Vous parliez tout à l'heure de l’altérité ; dans Goutte d’Or, vous insistez sur la figure du double et multipliez  les répétitions de séquences…
Il y a souvent l'idée de revenir dans des endroits qu'on a déjà vus ou de revenir face à un personnage qu'on a déjà croisé, mais entre-temps les règles du jeu ont changé. Ou l'enjeu est totalement différent quand on y revient, quand on recroise ce personnage. Pour les jumeaux, Ramsès qui est dans une manipulation constante des identités avec une maîtrise assez brillante des données de la personne qui se présente à lui, confie les clés et la sécurité de chez lui à quelqu'un qu’il ne connaît pas en réalité. Ce sont deux personnes différentes, qui font comme un tour de magie mais il y a une explication extrêmement naturelle ou réaliste, comme pour lui dans son cabinet de voyance.

©Laurent LE_CRABE_Kazak Productions_France 2 Cinema
© Laurent Le Crabe / Kazak Productions / France 2 Cinema

Comment avez-vous pensé l’écriture graphique et plastique pour ce film, principalement tourné de nuit — à l’instar de Ni le ciel ni la terre ? Les flairs et les effets de halo autour des corps sont ici particulièrement accentués…
Pas tant que ça. On essaie avec Sylvain Verdet — le chef-opérateur qui m'accompagne dans tous mes projets que ce soit au fin fond de la Sibérie ou à l'Opéra de Paris pour Les Indes galantes  de produire des situations où on est au plus proche de la lumière du site tel qu'elle est, de manière à ce qu'on puisse tourner dans tous les axes sans avoir à ajouter de projecteur ou de lumière autre ; la plupart du temps dans des conditions de documentaires. Mais j’aime beaucoup avoir des sources lumineuses à l’image, ne jamais sentir que la lumière vient d’ailleurs ; qu’elle est composée et qu’on attrape les choses. Et les lumières dans le cadre, ça crée des flairs, ce qui est aussi une manière d'attester de la réalité du décor. Parfois, le lampadaire existe vraiment, mais j’ai dû changer la teinte de la lampe ou sa puissance.

Ramsès est à la lisière entre le monde des vivants et celui des morts — sa vision le prouve. Mais  il se situe aussi à la lisière entre le légal et l’illégal, frayant autant avec les charlatans qu’avec la police. En permanence sur une ligne de crête, n’est-il pas le véritable “interprète“ du quartier ?
L'idée était qu'il soit à la frontière de la légalité, mais c'est de la manipulation. Comme il le dis, il « raconte une histoire, [il fait] du spectacle ». Et pourtant, les gens reviennent. On peut pas condamner quelqu'un pour ça, même si moralement c'est illégal et condamnable. On a filmé le vrai commissariat de la Goutte-d’or, sauf les intérieurs ; il y a une espèce de va et vient autour et Ramsès est effectivement un personnage passerelle d’un lieu à l’autre.

Pour filmer la bande de gosses des rues, avez-vous cherché des références du côté de Buñuel (Los Olvidados) ou Nabil Ayouch (Ali Zaoua prince de la rue) ?
Pas du tout, mes références sont très réelles : il y a vraiment des enfants qui sont arrivés des rues de Tanger à Paris. Tout le monde les redoutait, il y a eu des choses très dures, des blessures très graves mais la seule différence est qu’il n’y a pas eu de mort. Mais autrement, sur les surnoms qu’ils se donnent, les armes qu’ils utilisent, le langage, les mots, tout ça est très documenté : j’écrivais le scénario quand ils sont arrivés dans le quartier.

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