Bohm au visage

Né à Roncq (Nord) en 1951, diplômé des Beaux-Arts de Tourcoing, Pierre-Yves Bohm vit et travaille à Roubaix. Artiste inclassable (on l’a un temps, à tort, placé sous l’étiquette de l’art brut), échappant aux modes de son temps, il a été durablement marqué par un voyage aux Etats-Unis et la découverte de la peinture de Pollock, de sa vitalité et de ses qualités d’occupation de l’espace de la toile. Comme chez Pollock, ses œuvres se construisent par strates successives, mais pas seulement par strates de peinture, aussi par l’utilisation de matériaux et d’objets aussi hétéroclites et surprenants que  des fragments de miroirs, de textiles ou de toiles peintes, des boules de terre malaxées et mordues, de petits sacs de textiles suspendus comme des amulettes... Il vient parfois trouer la surface d’une toile pour y installer de fines tiges de métal sur lesquelles sont accrochées des fragments de couches picturales, comme dans Le Baiser (2003). L’artiste n’hésite pas non plus à s’engager physiquement dans un corps à corps avec ses toiles : il brode ou troue la toile et le papier, souffle et crache de la peinture, utilise sa mâchoire pour mordre dans la terre ou mêle ses propres sécrétions corporelles aux médiums traditionnels !

Qui suis-je ?

Ses œuvres, parfois, ressemblent à d’étranges constellations ou cartes stellaires, jouent de l’accumulation et de la profondeur… Mais à travers ces formes ou ces expérimentations plastiques, il devient vite évident que le corps humain, et en particulier le visage, sont les motifs de prédilection de l’artiste. Visages cachés au second plan, visages à deviner, visages qui se dialectisent avec un plan rectangulaire dans une très belle Série de 10 têtes datant de 1995. L’artiste précise dans un catalogue d’exposition en 2008 : « J’opte pour une attitude très classique. Devant un miroir, je dessine simplement mes traits et mon visage. Mais, à dire vrai, très vite l’exercice me paraît insupportable. J’ai envie de tout bousiller. Mon dessin devient alors un support presque sans attache, je cherche la solution de cette ressemblance. Je ne sais pas exactement ce que je recherche. Mais je vais vers un visage qui unit tous les visages possibles, le mien parmi les autres. Cela passe par une superposition des visages, j’élimine une partie du dessin. Je créé des confusions, des chemins possibles. Il est toujours étrange de faire son autoportrait. Je voudrais me replacer dans une forme d’anonymat et sûrement, ces autoportraits prennent un sens d’analyse, de réflexion sur l’identité et sur la condition humaine. C’est toujours un peu la même question : Qui suis-je ? Qui nous-sommes ? »

Collectionner hors piste

Dans les salles du 20^e siècle, le Musée des Beaux-Arts consacre trois salles à Pierre-Yves Bohm et rassemble une vingtaine de ses œuvres. Assez pour se faire une bonne idée de l’univers si singulier et atypique de l’artiste. Aussi surprenante soit-elle, la présence de l’artiste est emblématique du goût de Sylvie Ramond (directrice du musée) et du Musée des Beaux-Arts pour des artistes hors normes, comme Fred Deux, Etienne-Martin, ou même, et dans une moindre mesure, Joseph Cornell. En 2021, avec le cercle de mécénat Poussin, le Musée avait acquis trois œuvres de Bohm, et s’en sont suivi plusieurs donations, constituant un bel ensemble emblématique du travail de l’artiste. « La peinture, dit Pierre-Yves Bohm, c’est bien autre chose que de vouloir tranquilliser les gens ». Bohm rejoint donc la bande des Intranquilles qui "hantent" et perturbent les collections du musée.

Accrochage Pierre-Yves Bohm, Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 22 janvier 2024

Bio express

1951 : Naissance à Roncq (Nord). Etudes à L’Ecole des Beaux-Arts de Tourcoing. Il vit et travaille actuellement à Roubaix

1971 : Première exposition personnelle au Musée des Beaux-Arts de Tourcoing

2008 : Exposition rétrospective au Musée des Beaux-Arts de Tourcoing

2016 : Exposition au Musée des Beaux-Arts d’Arras

2023 : Accrochage dans les salles du 20^e siècle du Musée des Beaux-Arts de Lyon