Carrelage / Lisbonne a ses azulejos, nous avons le Galaxie : un pâté de maisons entièrement en carrelage qui peine à réfléchir la lumière du quartier de la Villette sous ses couches de pollution. Le spleen glisse-t-il sur une façade en céramique ? C'est parti pour l'escapade.
« C'en est fini de l'architecture de trottoir », déclare l'architecte René Gagès lorsqu'il installe son atelier à Lyon dans les années 50. Il s'inscrit dans un courant d'architecture hérité du Corbusier, au sein duquel modernité rime avec fonctionnalité. Sa conviction ? « Toutes les décennies arrivent avec des problèmes nouveaux qui leurs sont spécifiques et qu'il appartient à l'architecture de régler ». Pragmatique, il tente de régler divers problèmes au cours des décennies suivantes. Les solutions qu'il propose sont plus ou moins bien accueillies par le public : les UC de Bron, l'échangeur de Perrache ou encore le Clip, ce drôle d'immeuble en miroir place Gabriel Péri. Et au milieu de tout cela, il imagine un ovni posé juste à côté de la gare de la Part-Dieu : le Galaxie, construit entre 1980 et 1985.
Photo extraite de l'autobiographie de René Gagès, Les chemins de la modernité (Pierre Mardaga éditeur)
Un bâtiment assez grand pour qu'on mette plusieurs minutes à en faire le tour à pied (il borde trois rues), que l'on remarque sans remarquer dans la frénésie du quartier. Le problème qu'il tente de régler est encore tristement actuel : retrouver « la multi-fonctionnalité du tissu urbain de la ville artisanale qui avait progressivement disparu avec le développement des villes lié au développement de la société industrielle ». Autrement dit, rendre le quartier plus habitable. Le tissu urbain est-il réhabilité aujourd'hui ? Le Galaxie abrite une poste et son centre de tri, une école de commerce, un restaurant italien, un parking et des bureaux, dont ceux de la rédaction du Petit Bulletin.
Le carrelage, ça fait propre
Tentons de répondre à cette question obsédante : pourquoi construire tout un pâté de maisons en carrelage ? Si vous souhaitez employer un vocabulaire plus précis pour décrire les centaines de mètres de façade, vous pouvez parler de "plaquettes émaillées", qui constituent une "trame céramique". Il ne s'agit pas de n'importe quel carrelage, mais de grès en provenance d'Allemagne (le savoir-faire lié au grès y remonte au Moyen Âge), où René Gagès a fait ses armes. La fonction première de ces carreaux est de donner un aspect d'unité et de rigueur au bâtiment. À côté de cela, le "vocabulaire architectural", comme se plaît à le dire René Gagès, est varié :
- Des jeux d'angles pointus et arrondis à l'angle des rues Pompidou et Maurice Flandin pour adapter le bâtiment aux rues qui le bordent.
- Des variations de forme pour délimiter certaines fonctions, comme l'entrée du parking qui rappelle l'échangeur de Perrache ou un sous-marin, ou encore le surprenant portique d'entrée de La Poste.
- De la polychromie : des couleurs pour mettre en valeur les "organes" du bâtiment, c'est-à-dire les endroits où l'on circule. Rue de la Villette, vous apercevrez de l'extérieur un cylindre à voiture en béton, et les colonnes d'ascenseur et d'escaliers du parking. À l'origine, la peinture est une laque bleu brillant et rouge carmin, presque liquide.
Photo extraite de l'autobiographie de René Gagès, Les chemins de la modernité (Pierre Mardaga éditeur)
La série blanche
Un peu comme les peintres, les architectes ont parfois leurs séries. Le Galaxie fait ainsi partie d'une "série blanche". Le premier bâtiment à porter cette signature est un autre immeuble lyonnais, aussi massif et invisible que le Galaxie : le Presqu'île 2 qui, contrairement à ce qu'indique son nom, se trouve à la sortie du métro Garibaldi. Maintenant qu'on vous en parle, vous voyez exactement de quel immeuble il s'agit : ce gigantesque complexe lui aussi en carrelage, avec piscine et terrain de tennis sur le toit (allez vérifier sur Google Earth).
Sur le dossier du projet, appelé "opération Galaxie", l'architecte a précisé un souhait : il faut que le revêtement soit blanc et brillant. Avait-il anticipé le réchauffement climatique ou était-il simplement d'un naturel optimiste ? Les dossiers d'archives ne le précisent pas. Toujours est-il que ce carrelage possède deux attributs : il est inaltérable et auto-lavable. Certes, il n'a plus la blancheur qu'il devait arborer l'année de son inauguration, mais essayez, c'est assez bluffant : si vous passez votre doigt sur un carreau sale, il n'y a pas de pellicule de poussière dessus. Désinfectez-vous quand même les mains après l'opération, car même si le spleen et la pollution lui glissent dessus, il n'en est pas de même pour les bactéries.
Le tissu urbain, 40 ans après, est encore en train de se construire, comme en témoigne la nouvelle extension de la gare, toute proche. En janvier 2013, on retrouva le corps sans vie de Tellya Sebih, une jeune pâtissière de 20 ans, dissimulé sous un bosquet dans le passage au pied de la poste, entre les rues Maurice Flandin et Gabillot. Elle résidait un peu plus haut dans la rue Maurice Flandin. Dans le quartier, on peine toujours à trouver sa place en tant qu'être humain.
Prolonger la balade en vrai ou en pensée
- Essayer de compter le nombre de carreaux et de fenêtres du bâtiment pour entretenir une impression de déréalisation.
- Entrevoir les halls d'entrée en marbre des immeubles de bureau rue de la Villette, pour constater le soin que René Gagès portait à ces espaces.
- Payer vos hommages aux autres bâtiments de la série blanche : le projet Berges du Rhône à Gerland, et le siège de la Caisse d'épargne si vous êtes de passage à Corbeilles-Essonne.
- Lire l'autobiographie architecturale de René Gagès, intitulée Les chemins de la modernité (Pierre Mardaga éditeur), empruntable à la bibliothèque municipale et découvrir des décennies de tendances architecturales.
- Si vous préférez les images, parcourir la BD en ligne d'Ivan Brun Flashback du patrimoine : René gagès, 40 ans d'architecture.