Théâtre / Plus de dix ans après l'avoir créé, le metteur en scène et auteur Joël Pommerat reprend son spectacle sur la violence des sentiments. Une réussite toujours aussi marquante à voir aux Célestins.
Dix représentations en grande salle complètes de chez complètes – même si des places peuvent toujours se libérer chaque soir : pour un théâtre (ici les Célestins), programmer Joël Pommerat est gage de succès. Surtout quand le spectacle choisi est l'un des hits de son créateur, repris plus de dix ans après son dévoilement au cœur d'un dispositif bifrontal, avec les interprètes au milieu scrutés par le public de part et d'autre.
En 2013, Joël Pommerat est déjà un metteur en scène et auteur (lui se définit comme « écrivain de spectacle ») installé dans le paysage théâtral, grâce à des réussites comme Les Marchands (2006), Pinocchio (2008) ou encore Ma chambre froide (2011). Cette année-là, il met sur pied un nouveau projet au titre énigmatique plein de fausses pistes : La Réunification des deux Corées. Car Joël Pommerat ne convoquera pas sur scène des concepts géopolitiques, loin de là, mais parlera en plusieurs tableaux sans lien narratif de l'amour au sens large – le couple, l'amitié, la famille, le travail...
La raison de ce titre mystérieux se comprend au détour d'une tirade du segment « La femme amnésique » : « Quand on s'est rencontrés, c'était parfait. On était comme deux moitiés qui s'étaient perdues et qui se retrouvaient. C'était merveilleux. C'était comme si la Corée du Nord et la Corée du Sud ouvraient leurs frontières et se réunifiaient et que les gens qui avaient été empêchés de se voir pendant des années se retrouvaient » rappelle un mari à sa femme qui, aujourd'hui, ne le reconnaît plus. Bouleversant.
Fragments d'un discours amoureux
Pour cette reprise, Joël Pommerat a réagencé son spectacle dans une forme classique plus facile à tourner, avec le public en salle et les interprètes (presque tout le temps) sur scène. Mais il n'a quasiment pas touché à ce qui a fait la force de son aventure toujours intense – malgré, à l'époque, un accueil mitigé d'une partie de la presse, déboussolée par ce propos a priori futile. Soit une vingtaine de tableaux aux histoires souvent tragiques, certaines courtes, d'autres davantage développées, de ce couple en mal d'enfant à cet homme venu s'excuser auprès d'une ancienne amoureuse en passant par ces voisins qui, se sachant trompés, se réconfortent comme ils peuvent.
Dans une sublime ambiance en clair-obscur du créateur lumière Éric Soyer, fidèle collaborateur de Pommerat, la dizaine de comédiennes et comédiens, eux aussi fidèles de Pommerat, donnent corps et voix (sonorisées, pour créer du relief, des nuances...) à ces fragments d'un discours amoureux très Roland Barthes, à ces scènes de la vie conjugale bergmaniennes, à cette ronde façon Arthur Schnitzler... Autant de références qui ont irrigué la fine auscultation des sentiments de Joël Pommerat, l'un des metteurs en scène contemporains les plus passionnants qui, devant nous, construit spectacle après spectacle un répertoire qui marquera à coup sûr l'histoire du théâtre.
La Réunification des deux Corées
Du 7 au 17 janvier aux Célestins (Lyon 2e) ; de 5 à 40 euros