Lévitation / Avec une magie (nouvelle) parfaitement maîtrisée et dont ils sont les chantres, les artistes de la compagnie 14:20 fabriquent un spectacle qui gagnerait à être plus dansé que parlé. La version présentée aux Célestins sera raccourcie et fera plus place encore, espérons-le, à son personnage principal : une femme en lévitation qui refuse de toucher terre.
Elle est assise mais rien ne la tient fixée à cette table dont elle se déporte puis se rapproche sur des rails invisibles. Quand elle parvient à se hisser dessus, elle en tombe presque mais pas tout à fait. Tous les équilibres terrestres s'évanouissent dès cette séquence d'amorce. L'apesanteur fait loi. D'ailleurs, elle ne marche que sur la pointe des pieds. Il parait que c'est un problème. Elle sera internée à la Pitié-Salpêtrière.
L'histoire est inspirée d'un fait réel de 1896 nous dit la conceptrice Valentine Losseau dans sa note d'intention de ce spectacle qu'elle met en scène avec son complice Raphaël Navarro. Ainsi donc débarquent d'autres patients et patientes et même un médecin. Il ne va cesser de chercher à comprendre leurs troubles et surtout à corriger leurs symptômes. Il enfermera notamment les pieds récalcitrants de Madeleine dans des bottillons qui la contraignent, produisant là des séquences théâtrales paradoxalement très terre-à-terre. Ce soignant la ramène brutalement aux méthodes anciennes et nous éloigne de la psyché de cette figure si intrigante.
Grâce et évanescence des corps
D'autres congénères vont compléter cette galerie de portraits : une femme qui a toujours sommeil, une autre qui ne veut pas parler et un homme débordé par ses « wagons de mots ». C'est David Murgia qui l'incarne avec brio. Madeleine danse. Leïla Ka, ancienne interprète du May B de Maguy Marin et chorégraphe reconnue, la rend évanescente, en lutte aussi avec son corps diaphane.
C'est elle le pilier de ce spectacle créé en mars dernier et elle en est presque trop absente, encombrée par ce médecin et même parfois par ses deux compagnes de chambre sauf quand par exemple, elle entame une séquence de mimétisme avec elles où elle leur transmet des gestes heurtés, comme si elle voulait se débarrasser de quelque chose (simulent-elles avaler des médicaments ?) avec une véritable grâce. Plus On m'a trouvée grandie s'éloigne du récit clinique, plus il gagne en densité.
Plantée dans les airs
Les apparitions et disparitions de personnages mais aussi de mobilier sont si parfaites que l'œil s'y habitue rendant la magie normale, peut-être bien le comble de son exécution impériale. Et ceci n'est pas sans faire écho à un « écrivain de spectacle » comme il se définit et qui pourtant n'est pas magicien de métier : Joël Pommerat.
Le travail délicat sur l'invisible et l'incompréhensible trouve une forme onirique à défaut d'être réflexive. Sauf, en toute fin lorsque le personnage campé par David Murgia reprend la main pour un dernier jet, remuant, listant ces femmes enfermées pour des maux déchirants (« retour d'âge », « angoisse », « chagrin », « menstrue », « onanisme »...), celles que la société des valides ne veut pas voir au nom d'une « politique d'assainissement » qui a allégrement franchit les XXe et XXIe siècles.
On m'a trouvée grandie
Aux Célestins du 6 au 14 juin dans le cadre des Nuits de Fourvière