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Eva Nielsen, images troubles, images vivantes

Eva Nielsen, images troubles, images vivantes

Art contemporain / Besogner les images, accueillir l'accident, troubler les temporalités et les matériaux : les œuvres d'Eva Nielsen exposées à la Fondation Bullukian fascinent autant qu'elles déroutent notre regard. 

Dans ses œuvres grand format, entre peinture et photographie, Eva Nielsen (née en 1983 aux Lilas, dans le 93) entremêle les temporalités autant que les matériaux qu'elle rassemble dans son atelier parisien (photographies, sérigraphies, peintures à l'huile ou à l'acrylique, chutes d'images, résurgences d'œuvres passées...) Au sol, accroupie ou debout, elle tourne autour d'une multiplicité d'images et de fragments dont elle cherche le meilleur agencement : montant, superposant, froissant, imprimant... Son travail très physique se présente comme une plongée exploratoire dans le corps même des images. Le corps matériel est poussé à ses limites de luminosité ou d'obscurité, de présence diaphane ou d'opacité minérale, de lisse ou de strié... Au fond des images comme au fond de l'œil, l'artiste découvre aussi bien : la brûlure du désir vital que la disparition des choses : la mélancolie de la pulsion d'une vie qui ne cesse de refaire surface et la voix limpide du présent comme la rumeur sourde des fantômes... L'éternel retour du geste créateur d'Eva Nielsen flirte avec les abîmes de la disparition et les ruines du vivant prêtes à se reconstituer, toujours sur le fil d'un entre-deux, d'une discordance-réaccordance des temps et des matières.

« J'ai une certaine passion pour les lisières, nous confie Eva Nielsen. Être, par exemple, à la limite des villes et des campagnes, de la peinture et de la photographie, des choses perçues concrètement en marchant et des souvenirs personnels qui remontent à la surface. » Cette passion des lisières est née très tôt chez elle, « j'ai grandi en banlieue parisienne où l'horizon est toujours entravé, c'est une ligne insaisissable, une ligne qui nous échappe toujours. D'où peut-être mon grand intérêt pour les limbes, les zones d'érosion où le paysage se délite, où les topologies deviennent incertaines... »

Eva Nielsen dans son atelier ©Eva Nielsen

Accepter de se perdre

Pour sa majeure partie inédite, l'exposition de l'artiste est le fruit d'une double résidence d'un an à la Fondation Bullukian à Lyon et à l'Abbaye royale de Fontevraud. Eva Nielsen est allée aussi jusque dans le Vercors, « espace plein d'ambiguïtés, lieu de mémoire et lieu gorgé d'eau... où mes photographies se sont confrontées à la matière des paysages brutalistes du Vercors. » L'artiste est intarissable en entretien sur la qualité des sols, le lit des rivières, le nom des pierres, la géographie précise des lieux traversés et photographiés. Elle insiste aussi sur l'entrelacs du présent et du passé, de la perception et de la mémoire. « Mes projets antérieurs nourrissent mes projets du moment, je réutilise des filtres photographiques ou d'autres éléments. Je cherche à jeter un trouble et à donner un aspect non autoritaire, lacunaire, à mon travail, que le spectateur peut compléter par ses propres projections et impressions. Mon travail est aussi un puzzle d'images de textures différentes (filtres, peinture, sérigraphies, impressions sur latex, froissage ou trempage des toiles...) où j'essaye de rejouer le mécanisme de notre perception visuelle, nos yeux recomposant un grand nombre de perceptions pour former une image. »

De plus, en travaillant au sol et en marchant littéralement sur ses œuvres en cours, Eva Nielsen cherche une certaine proximité entre la fabrique des images et leurs motifs, entre ses gestes et leurs sujets. Elle tente de rapprocher le plus possible le réel et l'œuvre, tout en étant bien consciente de leur impossible coïncidence. « L'atelier fait ce qu'il veut ! On peut venir à l'atelier avec des idées en tête, mais tout est bousculé à l'atelier. Il faut accepter la perte, l'imprévu, l'aléa. »

Eva Nielsen ©Vincent Ferrane

Polke, artiste de chevet

Trois grandes typologies d'images se distinguent dans son exposition à la Fondation Bullukian : des photographies de famille, des paysages et des architectures. Les vitres de la Fondation sont couvertes de filtres photographiques et la scénographie, très réussie, de l'exposition invite à l'immersion. Une immersion dans des sensations inédites, des énigmes visuelles, des impressions de familiarité avec certaines images. On pense beaucoup à l'œuvre de Sigmar Polke (qu'Eva Nielsen évoque comme l'un de ses « artistes de chevet »), chantre de l'expérimentation quasi chimique de la peinture et de la photographie. Mais Eva Nielsen cite aussi de manière plus surprenante : « Les paysages d'Edvard Munch pour leur aspect fusionnel et Georgia O'Keeffe qui est l'une des premières artistes femme à se saisir du paysage en le traversant, qui s'immerge dans des paysages désertiques ou au contraire urbains, avec une sensibilité photographique, et une qualité des couleurs qui me guide beaucoup. »

Vue de l'expo Eva Nielsen ©Fondation Bullukian

L'exposition titrée Alluvion connaîtra un second volet en juin à l'Abbaye de Fontevraud. Et l'actualité de l'artiste s'annonce des plus riches : une exposition prévue à la Verrière à Bruxelles en avril, et une exposition au Musée d'art moderne de Paris fin septembre, dans le cadre du Prix Marcel Duchamp 2025. Eva Nielsen fait en effet partie des quatre nominés pour ce prestigieux prix dont le lauréat(e) sera connu(e) le 23 octobre.

Eva Nielsen, Alluvion
Jusqu'au 10 mai à la Fondation Bullukian (Lyon 2e) ; entrée libre

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