Théâtre / À la fois comédie sociale, fable homoérotique et thriller loufoque, "Et j'en suis là de mes rêveries" de Maurin Ollès est une savoureuse plongée dans l'univers du cinéaste et romancier Alain Guiraudie. Un ovni théâtral à voir aux Célestins.
L'Inconnu du lac, Rester vertical, Miséricorde... Depuis une vingtaine d'années, le réalisateur Alain Guiraudie met en place un passionnant cinéma de l'étrange, du trouble (notamment érotique), de la marge... Un univers picaresque qu'il convoque aussi à l'écrit, à l'image de Rabalaïre (2021), son deuxième roman construit autour des errances d'un curieux cycliste chômeur des campagnes mu par ses désirs. Le titre du roman est d'ailleurs un mot de la langue occitane utilisé pour nommer celui qui vagabonde ou s'installe chez les uns les autres.
Alors qu'Alain Guiraudie a adapté une partie de son texte-fleuve (plus de 1000 pages) dans son récent et génial long-métrage Miséricorde, le metteur en scène et comédien Maurin Ollès, remarqué avec sa pièce sur l'autisme Vers le spectre, en a fait de même, mais pour le théâtre. Et ce, sans sacrifier la puissance évocatrice de la langue de Guiraudie, et sans céder à la facilité de la plate illustration scénique : une gageure, tant l'aventure, sur le papier, semblait impossible. Et j'en suis là de mes rêveries, titre poétique pioché dans une des nombreuses tirades du personnage principal, s'apparente alors à une proposition d'une inventivité et d'une drôlerie folles, sorte de plaisant, malicieux et très cru ovni théâtral.
Immorale histoire
Sur scène, le comédien quinquagénaire Pierre Maillet incarne merveilleusement le cycliste, figure guiraudienne absolue. Le spectacle suit son vélo à la trace sur les routes du Sud-Ouest, chez des aubergistes accueillants, à la rencontre d'un curé qui n'est pas insensible aux plaisirs de la chair, dans le lit d'un amant intense... À la fois badin et tendrement premier degré, Pierre Maillet donne corps (jusqu'à la nudité) et voix chantante (avec accent) à cette histoire devenant de plus en plus barrée et immorale au fil du récit. À ses côtés, Maurin Ollès interprète certains des personnages que croisera le sportif, comme autant de carburant pour booster les savoureux et désopilants soliloques face public de l'antihéros.
Malgré un rythme chancelant lors de la deuxième moitié de la représentation (la faute à une longue séquence filmée certes réussie, mais qui casse la dynamique et affadit le retour au plateau), Et j'en suis là de mes rêveries est un spectacle de haute tenue fidèle à la touche Guiraudie. Avec les armes du théâtre, Maurin Ollès assume ainsi dans les moindres détails son amour pour l'art du cinéaste, jouant dans un décor bricolé, riche en images autant montrées que suggérées, voire déposées dans la tête des spectatrices et des spectateurs. Car une fois la pièce terminée, cette dernière infuse encore longtemps chez celles et ceux qui sont réceptifs à ces rêveries, que ce soit à l'écran, dans un livre ou sur une scène.
Et j'en suis là de mes rêveries
Du mardi 6 au samedi 17 mai aux Célestins (Lyon 2e) ; de 9 à 26€