Elefante blanco

Sans atteindre les hauteurs de son précédent "Carancho", le nouveau film de Pablo Trapero confirme son ambition de créer un cinéma total, à la fois spectaculaire, engagé, personnel et stylisé, à travers un récit qui mélange foi, politique et désir. Christophe Chabert


Le prologue très Werner Herzog d'Elefante blanco semble avancer en territoire inconnu. Pour échapper à des guerilleros, Nicolas (Jérémie Rénier) se réfugie dans la jungle avant de dériver sur un fleuve. Entre l'urgence et le lyrisme, Pablo Trapero affirme son envie d'un film qui embrasserait tout ce que le cinéma peut offrir comme spectacle. Déjà, dans son précédent Carancho, il disait le désespoir social de l'Argentine à travers un récit codifié façon film noir, ponctué d'éclats de violence et de grandes envolées stylistiques. Elefante blanco tente de réitérer l'exploit — et y parvient presque.

La patte Trapero

Nicolas est en fait un prêtre missionnaire. Il est envoyé dans un bidonville de Buenos Aires où exerce son ami Julian (le toujours parfait Ricardo Darin), prêtre lui aussi, qui tente depuis des années de renouer un lien social en construisant un hôpital. Cachant la maladie qui le ronge, sentant sa fin approcher, il voit en Nicolas un successeur possible. Mais leurs tempéraments sont opposés : Julian est calme, raisonné, diplomate ; Nicolas est sanguin, casse-cou, en quête d'action. Deux mondes entre lesquels va se glisser une assistante sociale (la sublime Martina Gusman), tentation charnelle qui pourrait donner le coup de grâce à ce passage de flambeau. D'autant plus que la violence s'empare du bidonville, rongé par le crime et le trafic de drogue, tandis que le gouvernement essaie de l'assainir en le vidant de sa population. Elefante blanco tire profit de ce qui aurait pu être sa faiblesse : le conflit entre un grand sujet et l'envie de créer des trajectoires purement romanesques. On l'a dit, Trapero croit profondément en l'essence populaire du cinéma, à partir du moment où elle repose sur une générosité dans le spectaculaire. Jamais didactique, toujours focalisée sur les élans de ses personnages — courage, peur, mensonge, sacrifice, la mise en scène s'autorise ainsi des instants de virtuosité pure, comme ce plan-séquence magistral où l'on traverse le bidonville jusqu'au QG du chef du cartel — avec surprise scénaristique à la clé, ou dans les incroyables scènes d'émeute, totalement immersives. Cette façon de chercher du souffle à tous les niveaux, de refuser le réalisme social pour oser l'ampleur de la fiction, est sans doute ce qui fait de Trapero un des cinéastes les plus intéressants du moment.


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