Carole Fives : Non mais allô ! Quoi ?

Troisième roman de la lyonnaise d'adoption Carole Fives, Une femme au téléphone succède au poignant C'est dimanche et je n'y suis pour rien. Et ausculte la relation mère-fille par le prisme original de fragments de conversations téléphoniques à sens unique.


Par quelles voies impénétrables passe l'amour maternel, une fois les enfants adultes ? Par le fil tendu du téléphone, ce substitut virtuel au cordon ombilical. C'est le sujet d'Une femme au téléphone, fragments d'un discours amoureux maternel retranché en un monologue téléphonique sans retours. « Une mère on en a qu'une vous devriez en profiter », dit la mère, Charlène. Et c'est peu dire que sa fille, à l'autre bout du fil, en « profite ».

Car ici, seule la mère a voix au chapitre (et quel chapitre et quelle voix !). Et quand la fille décroche, c'est parfois aux deux sens du terme. Ses réponses, hors-champs du discours, on ne fait que les deviner, mais elles tracent aussi son propre portrait.

C'est là la force de ce roman : rendre compte d'une relation mère-fille du point de vue de celle qui écoute mais ne dit mot, narratrice muette retournant une logorrhée solitaire en un judo rhétorique. Cette parole, bordélique, volatile, Carole Fives la retranscrit dans une écriture moins sensualiste que dans son précédent roman, mais qui met – c'est là l'effet de la répétition et de l'à plat – les nerfs à vif.

Grand huit émotionnel

Car cette mère seule, poly-affectée (cancer, bipolarité « légère à tendance borderline » ou maniaco-dépression « à tendance casse-couilles », c'est selon) que le corps médical ne sait plus où ranger, est un grand huit émotionnel, exprimant toute la contradiction de l'amour maternel, entre culpabilisation et résidus éclatants d'amour vrai.

Surtout, la sexagénaire abîmée porte malgré tout en elle un élan vital si débordant qu'il empiète sur la vie de ses enfants – pour le coup coupables d'en avoir une – comme sur des plate-bandes, les écrasant en un mélange d'égoïsme et de maladresse passive-agressive.

Au final, comme sa fille, entre malaise et fou rire, on ne sait plus par quel bout (du fil) prendre cette mère, cette relation téléphonique a-communicative, ce mal-entendu permanent et cette inversion constante de l'ordre de la filiation culminant en une phrase, terrible et si drôle : « C'est bête que tu sois ma fille, je t'aurais préféré comme mère en fait. La vie est mal foutue. »

Carole Fives, Une femme au téléphone (L'Arbalète-Gallimard)
À l'Astragale le jeudi 9 février


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