Celle que vous croyez

Sous une identité d'emprunt, une quinquagénaire délaissée noue une liaison grâce à Internet avec un vingtenaire, retardant sans cesse le moment de la rencontre. Une trouble romance à distance magnifiquement interprétée par Juliette Binoche et François Civil.


Son jeune amant l'ayant quittée sans élégance, Claire tente de se rapprocher de lui en se liant sur Facebook avec Alex, son colocataire. Entre Alex et Clara, l'alias de 24 ans que la quinquagénaire s'est créée, va naître une relation érotique d'autant plus trouble qu'elle reste virtuelle et aveugle…

Adapté d'un roman de Camille Laurens, Celle que vous croyez n'est justement pas ce que l'on pourrait croire — à savoir un thriller érotique, ni une fable sur la digitalisation des relations humaines. Portant sur la solitude et la peur de l'abandon, ce film se révèle également un exercice de style autour du récit, dans ses différents niveaux d'imbrication (avec peut-être un rebondissement final en trop) et l'incertitude de son authenticité : en effet, l'histoire est recomposée à partir du discours partiel de Claire à sa psy — aux omissions et travestissements de la vérité près — et se trouve amendée par un roman offrant une version alternative de la réalité. Tout est paroles, faux-semblants, mensonges et fantasmes dans ce qui résonne comme la version contemporaine d'un échange épistolaire libertin, d'une romance à la sensualité moins charnelle que vocale. L'écho prend d'autant plus de sens que Claire enseigne Laclos, Marivaux ou Duras…

Les merveilles de Juliette

Juliette Binoche assure s'être empressée d'accepter le rôle, sachant « qu'il y avait du monde au portillon. Safy ne dit pas qu'il a hésité [avec d'autres comédiennes], mais moi je peux ! », ajoute-t-elle, hilare. A posteriori, les tergiversations du cinéaste paraissent peu compréhensibles : face à une incarnation d'une telle évidence, on peine à imaginer une autre actrice de sa génération effectuer un tel (aban)don de soi pour servir le personnage de Claire dans ses nuances multiples, sans se départir de son naturel. 

Ni de sa capacité à afficher des émotions contrastées ! En cela, elle se distingue de consœurs aimées pour certaines — à défaut d'être aimables —, vitrifiées par d'autres dans des emplois numérotés. La récente filmographie de Binoche témoigne plutôt d'une inextinguible appétence pour la diversité et le renouvellement : projets expérimentaux, drames, ou comédies s'y succèdent en totale liberté ; autant de facettes bénéficiant à la construction de tels personnages kaléidoscopiques. L'âge sonne parfois chez les interprètes le glas d'une carrière ;  pour Juliette Binoche, il est promesse d'excitantes nouvelles perspectives et d'un zénith indéfiniment repoussé.

Celle que vous croyez de Safy Nebbou (Fr., 1h41) avec Juliette Binoche, François Civil, Nicole Garcia…


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François Civil : « une voix, ça nourrit l’imaginaire »