Les Messagères de l'Afghanistan

Après avoir trouvé refuge en France en août 2021 dès la prise de pouvoir des talibans dans leur Afghanistan, une dizaine de jeunes filles, apprenties artistes, seront sur le grand plateau du TNP fin juin. Jean Bellorini les dirige dans Antigone de Sophocle. Elles sont les « messagères » de cette histoire antique qu'elles ont faite leur. On s'est invité dans les répétitions.


« Mettre dans le tombeau un vivant ». Ce sont des mots prononcés en dari par l'une des membres de l'Afghan Girl Theater Group. Elle est Créon qui hurle la perte de son fils, Hémon, l'amant d'Antigone. Jean Bellorini l'encourage à ne pas baisser la voix, à tenir cette douleur. Nous sommes au théâtre. Pourtant cette histoire dépasse ce cadre-là.

Depuis presque deux ans, le metteur en scène et directeur du TNP côtoie ces neuf femmes âgées 18 à 23 ans. Avec l'aide acharnée de Joris Mathieu et du TNG, avec aussi le concours logistique des villes de Villeurbanne et Lyon, il les accompagne depuis qu'elles ont dû fuir en quelques jours l'Afghanistan en proie au retour des talibans. Depuis lors, elles ont appris le français et le parlent remarquablement maintenant ; elles ont repris des études, gagnent leur vie avec des petits boulots comme des étudiantes lambda qu'elles ne seront jamais tout à fait car toute leur famille est restée là-bas. Dans leur pays, elles pratiquaient le théâtre. C'est à ce titre, et parce qu'en tant que filles et qu'intéressées par l'art, elles étaient les victimes premières des fanatiques religieux, qu'elles ont rejoint la France comme une centaine d'autres réparties sur le territoire. Ici la pratique théâtre s'est poursuivi avec leur professeur Naïm Karimi venu avec elles, elles ont déjà pu produire une lecture spectacle au TNG à l'automne. Désormais, elles sont en répétition au TNP cet après-midi du 31 mai.

« C'est nous »

Mina Rahnamoei, traductrice et doctorante fait le lien entre les deux langues si besoin, Hélène Patarot, comédienne fidèle du metteur en scène, (notamment dans Un instant d'après Proust) veille sur ces jeunes filles qui, pour celles qui ne sont pas au plateau, se tiennent groupées au pied des gradins. L'actrice leur tend à chacune un peignoir pour qu'elles ne prennent pas froid car la scénographie est celle de Paroles gelées, que Bellorini avait créé en 2012 : une vaste étendue d'eau qui reflète le visage de cette troupe devenue devant « messagère » de leur situation. Atifa Azizpor a même écrit un texte qui va clore la pièce, comme un trait d'union entre le texte antique de Sophocle et la violence qui se perpétue dans ce XXIe siècle et « pour dire qu'il y a toujours un avenir et un futur même pour les Ismène [NDLR, qu'elle joue] », soit ses amies restées en Afghanistan et avec qui elle est toujours en lien ; elles luttent de l'intérieur, comme cette figure antique a fini par épouser le combat de sœur Antigone afin de donner une sépulture à leur frère. « Une de mes amies étudiait les arts dans une université, elle ne peut plus mais elle dessine maintenant chez elle et enseigne aux enfants » dit-elle. Freshta Akbari est avec elle sur le campus de Lyon 2 pour préparer le DU Arts, Langue, Image, Scène, Espace. Elle est Antigone à plein temps en ce moment car les répétitions ont été calées juste après les derniers partiels, elle a mis en suspend son job dans la restauration car au TNP, elles sont des actrices comme les autres, avec le même temps – long, 7 semaines – de répétitions et un salaire. Enjouée, elle ne craint pas de jouer sur le grand plateau – « j'adore ! » -  mais ne fera pas du théâtre plus tard, car « c'est trop difficile dit-elle, on est toujours dans le personnage et ça me perd ». Jean Bellorini les dirige comme des grandes et ne fait pas de différence entre cette production et les autres qu'il peut mettre en œuvre si ce n'est que « pour la première fois, je n'ai aucun doute sur la véracité des mots dits par elle ».

« Les Messagères c'est notre histoire, comment on a vécu en Afghanistan, comment on est arrivées ici, je comprends la douleur d'Antigone » confie Freshta qui pourtant n'a pas entendu le propos que sa copine Atifa venait de nous dire « Les Messagères c'est nous, c'est ce qu'on a déjà vécu, ce qui s'est passé. Et maintenant c'est le moment de le dire ».

 

Les Messagères (en dari surtitré)

Au TNP, du 28 au 30 juin


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