Hunger

Premier film du plasticien anglais Steve McQueen, Hunger ressemble à un cri de rage d’autant plus puissant qu’il s’appuie sur une sidérante assurance dans sa mise en scène. Christophe Chabert

Film politique, expérience de cinéma extrême, œuvre humaniste derrière sa violence, Hunger va laisser des traces en cette fin d’année. Il raconte le combat de Bobby Sands, incarcéré avec d’autres membres de l’IRA dans une prison britannique où leurs libertés élémentaires sont remises en cause par le gouvernement Thatcher.

Combat en deux actes : d’abord le refus de porter l’uniforme de prisonnier (une négation active de son «statut» de criminel) et de se plier aux règles d’hygiène. Ensuite, une grève de la faim sans retour qui en fera un martyr de la cause irlandaise. La force de Hunger, c’est que ces deux parties sont aussi deux blocs de pur cinéma où la mise en scène, dans ses partis pris radicaux, libère littéralement le propos.

Élégie de la faim

Le «blanket and no wash protest» qui ouvre le film est saisi par une caméra en symbiose avec les corps et les décors, utilisant toute la grammaire cinématographique pour créer un hyperréalisme éprouvant qui prend à la gorge et établit un très inconfortable malaise. Quand Steve McQueen filme un mur couvert d’excréments, il en fait une œuvre d’art (et retrouve sa première nature de plasticien) à la fois fascinante et écœurante ; et quand il met en scène un tabassage se terminant par une séance de rasage forcé à coups de ciseaux, c’est comme s’il nous donnait des coups de poing dans l’abdomen.

Lorsque Sands entame sa grève de la faim, le film se fait plus onirique, plus contemplatif, obligeant le spectateur à regarder l’agonie du personnage et sa dégradation physique (Michael Fassbender, déjà bien amoché dans Eden Lake, s’impose comme le grand acteur maso de 2008). Percée de fulgurances poétiques en forme de flashbacks sur l’enfance de Bobby, cette dernière partie surprend par son caractère apaisé et élégiaque, où la violence du début semble se concentrer dans un corps dont l’esprit se libère à mesure que ses forces l’abandonnent.

Mais entre ces deux intenses expériences, il y a un seul plan, fixe et étalé sur 17 minutes, où Sands parle avec un prêtre et lui expose son projet. Scène fulgurante, qui commence comme un dialogue anodin où les répliques fusent de chaque côté de la table, avant que l’enjeu, tragique, ne surgisse presque par inadvertance, sans affecter cette apparente familiarité. Digne des plus grands dramaturges anglais (de Pinter à Butterworth), ce moment pivot est un instant de calme au milieu de la brutalité. Mais McQueen y imprime la même puissance et la même densité. Un immense cinéaste est né !

Hunger
De Steve McQueen (Ang, 1h40) avec Michael Fassbender, Liam Cunningham..

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