Mother

Après avoir dépoussiéré le polar dans "Memories of murder" et le film de monstre dans "The Host", le sud-coréen Bong Joon-ho donne sa vision, très personnelle, du mélodrame, avec ce portrait d’une mère prête à tout pour rétablir l’honneur de son fils. Christophe Chabert

On avait laissé Bong Joon-ho sur son segment, très beau, du film collectif Tokyo ! Un adolescent ne sortait plus de chez lui depuis trois ans, vivant en autarcie, avec pour seul contact humain la visite du livreur de pizzas. Son retour dans le monde s’accompagnait d’une pirouette puissante : l’humanité avait disparu, remplacée par de belles androïdes. Comme s’il avait poussé au maximum l’idée d’un futur post-humain, Bong revient dans Mother a ce qui relève d’une humanité viscérale et intemporelle : l’instinct maternel. Quelque part entre le polar et le drame, avec même des pointes de comédie, le nouveau film du réalisateur de The Host cherche en fait à lifter le mélodrame, en l’éloignant au maximum des canons hollywoodiens du genre, y compris des maîtres Sirk et Minnelli. À plat, l’histoire ressemble pourtant à un digest parfait : une mère élève seule son fils unique, un peu attardé et plutôt mal entouré. Après une altercation avec des bourgeois qui jouent au golf, il rentre chez lui. Le lendemain, on découvre le cadavre d’une jeune fille sur le trajet qu’il a emprunté. Le garçon est un coupable désigné par la justice, mais pas aux yeux de sa mère, qui va tout faire pour prouver son innocence.

Parade maternelle

Le film démarre en trombe : les tribulations du gamin donnent lieu à quelques tableaux parfaitement burlesques, avant que Bong ne négocie un virage brutal dans son récit, lors d’une scène choc d’une violence morale impressionnante. Excellent conducteur, le cinéaste est aussi, d’une certaine manière, un chauffard : la deuxième partie du film, où la mère prend le contrôle de l’histoire, envoie fréquemment les certitudes morales du spectateur dans le décor. Mother épouse donc jusqu’à la folie l’obsession de son personnage, sa capacité surhumaine à déplacer des montagnes pour faire entendre sa dignité de mère blessée. La prestation hallucinée et hallucinante de Kim Hye-ja, 70 balais et une filmo gigantesque derrière elle, est pour beaucoup dans l’effet de sidération que cette quête du coupable produit par instants — disons quand même que le film n’est pas exempt de quelques longueurs. Les deux plans qui encadrent (ou presque) Mother, où l’actrice s’approche de la caméra puis improvise longuement une danse aussi bizarre qu’envoûtante, donne la clé du film : et si l’instinct maternel n’était qu’une forme de parade animale sophistiquée, un carnaval qui déguiserait d’autres pulsions pour envoyer au feu les lois, la morale et la justice ? Humain, trop humain.…

Mother
De Bong Joon-ho (Corée du Sud, 2h10) avec Kim Hye-ja, Won Bin…

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