Greenberg

Cinquième film de Noah Baumbach — mais deuxième à sortir en France, cette chronique d’une rencontre entre deux solitaires retrouve le ton adulte et doux-amer du grand cinéma d’auteur américain des années 70. Christophe Chabert

Où l’on fait la connaissance de Florence Marr : ni belle, ni moche, plus vraiment jeune mais pas complètement entrée dans l’âge adulte, rêvant de devenir chanteuse mais se contentant pour l’instant de s’occuper de la maison des Greenberg, une famille de bourges de Los Angeles partis en vacances au Vietnam en laissant la baraque au frangin dépressif, Philip.

Où l’on fait la connaissance avec Philip : lui aussi voulait faire de la musique, mais il a sabordé son groupe, quitté Los Angeles pour New York et, à quarante ans passés, il vivote comme menuisier en ruminant sa rupture avec la femme de sa vie. D’où séjour à l’hôpital psychiatrique, aigreur envers le monde et phobies en tout genre.

Noah Baumbach suit d’abord en alternance ces deux personnages paumés et inadaptés, l’une surjouant la joie de vivre sans arriver à dissimuler sa tristesse, l’autre se complaisant dans la contemplation du temps perdu et la morosité d’une existence qu’il estime avoir bousillée. Puis il les fait se rencontrer, se rater, s’aimer et se haïr, trop loin ou trop proches pour vraiment se comprendre.

Sublimes ratés

Cette manière de s’intéresser aux marginaux d’une société en trop bonne santé — le film dresse un portrait ironique mais jamais cruel de la bourgeoisie libérale américaine, est déjà une déclaration d’intention. La mise en scène de Noah Baumbach prend le temps de laisser les scènes s’installer et les personnages s’empêtrer dans leur discours et leurs contradictions. Son naturalisme en fait très composé évoque ainsi certains grands films tournés par Arthur Penn ou Hal Hashby dans les années 70 — la superbe photo vintage d’Harris Savides, qui avait déjà expérimenté la chose dans Zodiac, n’y est pas pour rien.

Greenberg se joue des stéréotypes et creuse son sillon vers une grande vérité humaine : le film trouve toujours la note juste, ce moment où le spectateur ressent intimement l’embarras des personnages, leurs faiblesses et leurs maladresses. Cette justesse s’exprime surtout dans certains détails : Florence, avant de se déshabiller, s’excuse auprès de Philip de la laideur de son soutien-gorge ; Philip tente de faire écouter Duran Duran à des gamins qui ne jurent que par le rock teenage…

Baumbach, en pleine confiance avec ses acteurs — Ben Stiller, surprenant, et surtout Greta Gerwig, la grande révélation du film — confirme après Les Berkman se séparent qu’il n’est pas que le co-scénariste de Wes Anderson, mais aussi un auteur passionnant et singulier, possible cousin cinéaste de Philip Roth. Et si un éditeur DVD sortait ses trois autres films, inédits chez nous ?

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