Acteur du crépuscule

Film du mois dans la Ciné-collection du GRAC, "Le Feu follet" de Louis Malle (à qui l’Institut Lumière rendra aussi hommage ce trimestre) est un magnifique portrait de son acteur, Maurice Ronet, aussi énigmatique que mésestimé. Christophe Chabert

Quand René Clément réunit dans Plein soleil Maurice Ronet et Alain Delon, a-t-il conscience de leur faire jouer à l’écran un scénario qui, métaphoriquement, sera celui de leurs carrières respectives ? Dans le film, la star Delon assassine et prend la place de l’acteur Ronet, tout comme ce film sorti à l’époque de la Nouvelle Vague amorce la mutation d’un cinéma populaire français résistant aux assauts de la politique des auteurs. Maurice Ronet, avec sa beauté ombrageuse et son port de grand bourgeois, sera éclipsé par le charme éclatant et le naturel éblouissant du soleil Delon. Ils se recroiseront pourtant deux fois par la suite, dans La Piscine de Jacques Deray qui rejoue la rivalité de Plein soleil en l’inversant, et dans Mort d’un pourri de Georges Lautner, où Ronet n’est que l’ami député vite assassiné d’un Delon qui s’improvise justicier face à l’état corrompu. Face à l’insolente santé de Delon, Ronet paraît alors avoir mille ans et éprouvé mille épreuves, déjà un peu de l’autre côté. Quelques années plus tard, sa confrontation avec Patrick Dewaere dans Beau-père fait le même effet ; Ronet y est bouleversant, visiblement déjà rongé par la maladie. Dewaere le précèdera pourtant de quelques mois dans la tombe, dans un tour ironique du destin.

Il ne fait que passer

Au cœur de la filmographie, très éclectique et inégale, de Maurice Ronet, un rôle semble résumer ce programme tragique : Le Feu follet (1963) de Louis Malle. Adaptant fidèlement un livre fort du sulfureux Pierre Drieu La Rochelle, Malle signe sans doute son meilleur film, le plus sincère et le plus immédiat. Alain Leroy sort d’une cure de désintoxication et décide de se suicider. Mais avant de commettre ce geste fatal, il va retrouver ses anciens amis pour leur dire sa vérité, ses vérités. Malle accompagne un Ronet évidemment désespéré, mais aussi incroyablement vivant, ironique, mordant, amoureux, cynique. Le cinéaste, qui l’avait révélé au grand public dans Ascenseur pour l’échafaud, lui offre ainsi un magnifique cadeau empoisonné : un rôle exceptionnel qui laisse apparaître toute l’étendue de son talent, mais qui le condamnera ensuite à des personnages sombres, torturés ou manipulateurs. Des personnages qui s’excluent du monde ou qui le prennent de haut, comme si l’acteur n’avait jamais pu sortir de la peau de ce feu follet, rejouant sans cesse le cérémonial de celui qui sait qu’il va mourir. C’est la beauté a posteriori du film de Malle — qui en possède beaucoup d’autres bien présentes à l’écran.

Le Feu follet
Dans les salles du GRAC, du vendredi 1er avril au lundi 9 mai

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 6 novembre 2018 Le visage de trois quart de profil en gros plan, devant Jean-Louis Trintignant. Rouge. Le film de Kieślowski, avec La Double vie de Véronique, va révéler la comédienne Irène Jacob dans les années 90. Depuis, elle tourne dans le monde entier,...
Jeudi 4 juillet 2013 Séquence émotion au cours du dernier festival de Cannes : en séance de clôture de Cannes Classics, Alain Delon vient présenter la version restaurée de Plein Soleil (...)
Dimanche 29 janvier 2012 La synergie entre Positif et l’Institut Lumière, devenue co-éditrice de cette excellente revue, continue avec la nouvelle programmation de la rue du (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X