La Part des anges

Décidément, la comédie n’est pas le fort de Ken Loach et de son scénariste Paul Laverty ; cette pochade à l’optimisme forcé sur les tribulations dans le monde du whisky d’une bande de petits délinquants écossais relève du bâclage paresseux et du téléfilm laborieux. Christophe Chabert

On le disait déjà à l’époque de Looking for Eric, mais La Part des anges le confirme : Ken Loach semble oublier totalement le grand cinéaste qu’il est lorsqu’il décide de faire une pure comédie. Et si le film qui avait relancé sa carrière (Raining stones) reposait sur une certaine légèreté (du moins dans sa peinture de l’Angleterre prolo), c’est bien quand il aborde la face la plus noire et désespérée de son œuvre que Loach signe ses meilleurs opus (pour nous, Family life, Ladybird, Sweet sixteen et It’s a free world). Ce qui frappe d’abord dans La Part des anges, c’est la sensation de caricature qui émane des protagonistes : des petits délinquants qui ont forcément bon fond et toujours leurs raisons d’avoir mal agi — ils sont un peu cons et n’ont pas d’instruction, la faute à vous savez qui. Cette absolution sans frais tue tout le dialectisme que Loach attache d’ordinaire à sa peinture des classes populaires. Ce premier écueil est révélateur de la suite : le cinéaste et son scénariste Paul Laverty ne sont pas là pour se compliquer la vie, et ce ne sont pas des ficelles avec lesquelles ils tricotent leur histoire, mais des câbles de poteaux.

Whisky pour gogos

Les deux sont pris en flag très tôt, quand ils racontent avec une facilité déconcertante la conversion de Robbie, leur héros, au whisky. En cinq courtes séquences et quatre ellipses, il goûte son premier verre et fait la grimace, se retrouve à visiter, l’œil curieux, une distillerie, lit trois livres sur la question, fait une dégustation avec ses potes — l’occasion d’un gag très gras plutôt indigne de Loach — et trouve (presque) un grand cru lors d’un blind test. La sauce froide sociale qui entoure cet apprentissage est toute aussi négligente : le beau-père qui refuse que sa fille épouse un gamin violent n’est qu’une convention de récit, jamais vraiment justifiée par le script. Quant au climax du dernier acte, il restera dans les annales du manque d’imagination (on se cache derrière un tonneau, et voilà). La platitude de la mise en scène renforce ce sentiment d’assister à un téléfilm vite torché, ce qui en dit long sur le regard que les deux auteurs portent sur la comédie : un genre pas sérieux qui ne nécessite donc pas de faire les choses sérieusement.

La Part des anges
De Ken Loach (Fr-Ang, 1h41) avec Paul Brannigan, John Henshaw…

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