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Quand on arrive en livre !

Kiff Haring

Le Musée d’art contemporain consacre tous ses espaces à un artiste mythique des années 1980, Keith Haring. Avec lui, peu importe le support pourvu qu’on ait l’ivresse de la ligne et de la forme. Mais attention, l’aspect rieur et parfois un peu facile des œuvres cache souvent un second plan plus angoissée, complexe et politique. Jean-Emmanuel Denave

Keith Haring n’a pas inventé la poudre. Mais Keith Haring c’est de la poudre, une déflagration d’énergie, un souffle énorme, direct. Une longue ligne de vie en variations continues, blanche, noire, rouge, bleue, verte… Une respiration de dix années de création (1980-1990 grosso modo) et une haleine qui imprimera sa buée sur toutes les surfaces possibles : panneaux publicitaires dans le métro new-yorkais, pans de murs dans des chantiers de construction, façades de bâtiments, tôles récupérées, etc. «All over» !


L’exposition s’ouvre d’ailleurs sur les dessins réalisés à la craie et à la va-vite dans le métropolitain. Tout autour, d’autres dessins donnent d’emblée quelques clefs pour pénétrer dans l’univers d’Haring :
un trait épais et noir, un tracé continu, des figures simples et accessibles à tous, quelques symboles plus alambiqués que l’artiste déclinera en de multiples occasions (le fameux bébé radiant, la pyramide, la soucoupe volante, le dauphin, la télévision…), l’utilisation et le détournement de la culture populaire, avec Mickey en ligne de mire par exemple.

L’œuvre de Keith Haring débute en 1980 : c’est l’époque de la grande revanche de la figuration sur l’art conceptuel des années 1960-1970. C’est l’année de l’assassinat de John Lennon et Keith Haring est, d’une certaine manière, l’un des continuateurs de l’esprit Pop et de Lennon en particulier, avec cette même faculté d’exprimer ses propres rêves ou angoisses tout en parlant à tout le monde. 1980 c’est encore les années Reagan (1980-88), et il faut garder cette catastrophe politique à l’esprit pour mieux remettre en perspective certaines oeuvres très critiques et engagées de Keith Haring.

Plein les yeux

L’exposition se poursuit en suivant plusieurs fils thématiques ou plastiques, modulant différents effets visuels (couleur, monumentalité, complexité de plus en plus grande du trait des dessins…) dont l’intensité va croissante. On passe du dessin à la peinture, du noir et blanc à la couleur, d’une ligne naïve à une ligne plus alambiquée, remplaçant la perspective classique par un emboîtement de figures les unes dans les autres, telles des poupées gigognes. On découvre ainsi chez Keith Haring plusieurs «plans», plusieurs niveaux de lecture, plusieurs vitesses.

«Les gens comprennent mon œuvre qui se lit comme un livre d’images. Je donne des figures simples, mais en même temps complexes, comme des idéogrammes». Influencé par le graffiti et la BD, les arts primitifs, Dubuffet, Alechinsky, Matisse, Léger, Picasso, Pollock et beaucoup d’autres, Keith Haring reprend aussi, ostensiblement ou non, des thèmes classiques de l’histoire de l’art : des méduses, des maternités (dont certaines particulièrement «osées»), des vanités, des portraits, des anges, des crucifixions, et même un incroyable Saint Sébastien datant de 1984 dont les flèches sont remplacées par des avions de ligne transperçant le corps du saint, et dont la symbolique après coup (après 2001) laisse songeur…

L’exposition rassemble par ailleurs beaucoup d’œuvres inédites ou rares, comme cette ode au mouvement et à la danse qui s’étale sur 35 mètres de tôles d’acier, des sculptures monumentales, une reconstitution du «Pop Shop», des photographies documentant les interventions d’Haring dans le métro ou le milieu underground de l’époque, une vidéo où l’on peut voir et admirer la maestria de l’artiste en pleine exécution de peintures murales…

Po(p)litique

Plus on parcourt les salles du musée, plus l’œuvre de Keith Haring ressemble à une sorte de ruban de Möbius où, sur une même surface, l’avers et l’envers se rejoignent, la joie et le sérieux se prolongent et se côtoient. Sur les bâches en PVC de Haring, le trait rieur et bourré d’énergie s’entremêle à un trait plus critique, politique, pessimiste, voire carrément apocalyptique (le dernier étage du musée est entièrement consacré à cette thématique) !

Dans plusieurs œuvres par exemple, ce qui apparaît au premier regard comme éléments décoratifs s’avère amoncellement de corps, paniques de foules anonymes, voire charnier. On ne compte pas non plus le nombre de serpents ou de vers excavant les chairs, de chiens loups dévorant des bonhommes ou les écrasant en une danse archaïque et sacrificielle… L’une des salles les plus impressionnantes de l’exposition est dédiée aux représentations de «monstres». Monstres que ne désavouerait pas David Cronenberg, avec leurs organes fous, leurs chairs déliquescentes, leurs têtes d’hydres ou de crocodile halluciné, leurs anus-bouches aux langues effilées agrippant des billets de banque, découpant des corps, traversant un cerveau gisant au sol comme une déjection bovine...

D’autres œuvres révèlent un contenu directement politique ou social : à propos du Sida, contre le racisme et toute forme de pouvoir (Les Prophètes de la rage 1988), contre l’appât hystérique de l’argent, la guerre, le machisme… L’exposition du Musée d’art contemporain est un vaste kaléidoscope, très impressionnant visuellement, déclinant les différentes facettes d’un artiste qui les «joue» toutes dans un laps de temps très court et sur une même surface immense et imaginaire : celle-là même du monde dans lequel vivait l’artiste et qui, aujourd’hui, dans ses «grandes lignes», n’a pas beaucoup changé.

Keith Haring
Jusqu’au 29 juin au Musée d’art contemporain de Lyon
Catalogue : Keith Haring, conception éditoriale Gianni Mercurio, éditions Skira

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