Nan Goldin, l'image en vie

Nan Goldin

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Photographie / Depuis son adolescence, Nan Goldin a voué son existence à la photographie, tablant sur ce médium pour garder traces et fracas de la vie. Son œuvre, immense et mondialement connue, est rassemblée notamment dans deux livres clefs et bouleversants : La Ballade de la dépendance sexuelle et Le Terrain de jeu du diable.

« La Ballade de la dépendance sexuelle est le journal que je laisse lire aux autres » écrit Nan Goldin au début de son œuvre princeps, œuvre (sorte de journal extime composé de photos et de quelques textes) qui chamboula rien moins que le monde de la photographie (le monde de l’art ?), à sa parution en 1986. Dans cette "ballade", on trouve quelque cent-quarante photographies prises entre 1976 et 1986. Dix ans d’amitiés fortes, d’amours déchirés, de rencontres avec des marginaux, dix années captées au gré du quotidien et de la confiance entre la photographe et ses sujets. Les images y ont quelque chose, à la fois, de brutal et de beau, d’angoissant et d’intensément humain, de trivial et de tragique… Bobby s’y masturbe à New York en 1980, Brian s’y prend tristement la tête entre les mains au Mexique en 1982, le petit Max y joue avec un pistolet en 1977, Chrissie et Sandy y déambulent sur une plage du Massachusetts seins nus, des camarades de chambre de Nan Goldin y font l’amour en 1980…

« Pour moi, la photographie est le contraire du détachement, c’est une façon de toucher l’autre : c’est une caresse » déclarera un peu plus tard Nan Goldin en 1996. Ses portraits pris sur le vif (mais finement composés sans en avoir l’air, intuitivement au départ) déjouent les règles du genre : chaque image implique une très grande complicité avec le sujet photographié, et chaque image relève du partage, dans le réel comme dans l’art. D’ailleurs, pour Nan Goldin, la frontière entre art et vie n’existe pas vraiment, et c’est pourquoi ses photographies nous bouleversent, nous heurtent, nous font partager frontalement ses moments d’extrême intimité. Pas ou peu de distance avec Nan Goldin, pas de chichi, pas de détour esthétique ou glamour : le réel et l’humain vous hurlent aux yeux, et si vous ne les fermez pas, vous êtes touchés par une myriade d’émotions.

Et… elle photographie tout

Pour Nan Goldin concrètement (née à Washington en 1953 au sein d’une famille bourgeoise), le réel a hurlé très vite alors qu’elle avait onze ans et que sa sœur aînée Barbara Holly se suicida à 18 ans (suicide "déguisé" en accident par leurs parents). Les drogues dures et la photographie furent, à l’adolescence, ses exutoires, sa manière de tenir debout, de tituber dans l’existence et dans la traversée de ces années 1970 au grand souffle de folie libre aux États-Unis comme en Europe… Nan Goldin prend des cours au Centre photographique de Cambridge, rencontre un professeur clef (Henry Horenstein) qui lui fait découvrir et aimer August Sander, Larry Clark, Diane Arbus… Elle admire aussi Malcom X, lit Valérie Solanas, tombe amoureuse d’un travesti, fréquente l’underground new-yorkais et les prémices de ce qui s’appellera bientôt la communauté LGBT+, tombe enceinte d’un père anonyme… Et… elle photographie tout : l’amour, les fêtes, la drogue, la violence, les funérailles, les relations tragiques entre les hommes et les femmes, les séjours à l’hôpital, le sexe, l’angoisse de la mort… « Lorsque j’ai commencé à boire, à devenir incontrôlable et à consommer de la drogue, j’ai pris des photos, au début, pour pouvoir me rappeler ce que j’avais fait la nuit précédente. Je m’en tenais là. Puis c’est devenu une forme de documentation plus obsessionnelle. J’ai réalisé ce livre pour prouver que c’était ma vie, ce que j’avais fait. C’était mon histoire. Ma continuité dans le temps. Et les gens de ma vie — mes amis, mes amants, qui formaient une part si essentielle de ma réalité. Sans aucun déni » écrit Nan Goldin dans l’épiloque de La Ballade de la dépendance sexuelle.

Le Terrain de jeu du diable

Plus tard, en 2003 (pour la parution française), un autre livre de photographies sort, volumineux (500 pages), bouleversant à nouveau : Le Terrain de jeu du diable. Il réunit des images prises surtout au début des années 2000… Avec, toujours, les amis, les amours, les hôpitaux, les enfants, et quelques autoportraits… Les images sont un peu moins crues que dans la Ballade, mais les sensations demeurent intactes et brutales, faites de tons saturés, de bougés, de giclures de couleurs et de lumière. C’est là une lutte incessante entre l’obscur et l’apparition, le temps et la vie. Dans les images, le beau s’arrache par bribes incertaines au milieu du chaos, à l’instar de ces nouveaux nés qui balbutient dans l’existence. Comme eux, avec Nan Goldin, on (re)découvre le monde, avec des perceptions encore désordonnées et incertaines, sans séparation entre ce qui nous appartient et ce qui appartient au monde et aux autres, entre le dedans et le dehors. L’image surgit là, entre les deux, entre deux, à même le sexe, à même les rires et les pleurs.

Quelques fois, rarement, les photographies de Nan Goldin se délestent de leurs présences humaines et nous entraînent dans des paysages, des horizons entre ciel et mer, des pièces vides, des lits défaits, des miroirs brûlés… On se dit alors que la peinture hante les espaces de Nan Goldin et que, par exemple, Le Caravage pousse à nouveau Poussin dans le ravin du sérieux et du calcul. Qu’un corps ou un lieu ça ne se représente pas avec circonspection, mais que ça gicle du pinceau comme de l’objectif de l’appareil photo. Il y a, dans le livre de Nan Goldin, d’autres références citées plus explicitement : Leonard Cohen, Nick Cave, T. S. Eliot, John Giorno… « S’il fallait une métaphore pour ce livre, ce serait celle d’un fleuve fougueux et terrifiant, avec ses affluents, ses tourbillons, ses cascades vertigineuses, ses rares et belles espèces aquatiques ; sans oublier quelques nouveaux-nés et la délicieuse sensation de nager dans un liquide qui fait courir des frissons sur la peau » écrit Catherine Lampert dans ce Terrain de jeu du diable.

Tous les musées l’exposent

Depuis 2007, Nan Goldin vit entre Londres et Paris, et ses images-vies connaissent un relatif apaisement. La France l’a faite Commandeur des arts et des lettres en 2006, les Rencontres de la Photographie d’Arles l’ont nommée directrice artistique du festival en 2009, et tous les musées l’exposent aux quatre coins de ce monde si moche et si beau à la fois. Alors, forcément, la vie se transforme en histoire, en légendes, en éloges, et la Ballade de la dépendance sexuelle est devenue pour la presse américaine « L’Opéra de quat’sous des temps modernes » ou ce que « Les Américains de Robert Frank furent aux années 1950 » ou la seule œuvre capable de « consigner la vérité de nos émotions sur la corde raide au-dessus de l’abîme »…

Mais laissons le dernier mot sur son œuvre princeps à Nan Goldin elle-même qui, dans sa postface de réédition en 2012, écrit : « je regarde La Ballade et je vois la dynamique de l’amour et de la haine, de la douceur et de la violence, ainsi que les ambivalences en tout genre des relations humaines… D’une certaine façon, l’image de la meurtrissure en forme de cœur pourrait être le symbole de tout le livre. »

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