L'art populaire du théâtre

Story / Ce n’est pas une superstition qui se cache derrière le 11.11.11, date de réouverture du TNP de Villeurbanne, mais un hommage à son passé : le lieu a été inauguré le 11 novembre 1920 au Trocadéro, à Paris. Depuis 1972, l’un des plus importants théâtres français est implanté à Villeurbanne. Récit de ce «défi en province». Nadja Pobel

Il y a plusieurs histoires du Théâtre National Populaire. Celle de cette appellation-même née à Paris au Trocadéro et confiée à Firmin Gémier, acteur et metteur en scène. Au sortir de la guerre, après bien des changements de noms, le TNP est aussi l’histoire de Jean Vilar, qui en prend la direction de 1951 à 1963, toujours à Chaillot, puis de Bob Wilson. Parallèlement, à Lyon, un jeune metteur en scène-acteur-auteur crée le théâtre de la Comédie en 1952 (aujourd'hui théâtre des Marronniers). Rapidement à l’étroit dans cette salle de cent places, il veut plus grand mais Lyon ne lui offre rien (Pradel est moins accommodant qu’Herriot) et c’est chez le voisin villeurbannais qu’il trouve hospitalité. Le maire Étienne Gagnaire lui permet de diriger (à 26 ans !) le Théâtre municipal de la Cité. Contrairement à ses missions, Roger Planchon ne poursuit pas la programmation d’opérettes, mais continue à faire ses spectacles dans un lieu de mille places au cœur du Palais du travail. En quinze ans, après avoir monté des classiques, des contemporains (Vinaver dès son premier texte, Aujourd’hui ou les coréens), après des anicroches avec le maire SFIO qui prend Planchon pour un «gauchiste», après avoir accueilli Mnouchkine, Strehler mais aussi Ferré, Reggiani ou Oscar Peterson en province, Planchon est devenu le chef de file de sa génération sur lequel s’appuient ses congénères en Mai 68 (les artistes veulent le pouvoir sans interventions des politiques). À l’orée des années 70, alors que le théâtre de la Cité est en travaux, le nouveau ministre de la Culture, Jacques Duhamel l’appelle à Paris pour lui confier la direction du TNP. Mais la réponse de Planchon est sans équivoque : «J’ai consacré ma vie à la décentralisation, je désire continuer».

Pour tous

Le sigle TNP est donc transféré en province accentuant ainsi la politique de décentralisation française, largement entamée par André Malraux et la création des Maisons de la Culture. La nouvelle salle du TNP est désormais dotée d’une totalité de sièges avec bonne visibilité (contre la moitié auparavant) : une démocratisation du théâtre a contrario des salles à l’italienne que pourfendait déjà Gémier. Planchon invite dès 1970 Patrice Chéreau, jeune prodige (25 ans) qui s’est déjà "exilé" au Piccolo Teatro de Milan car trop endetté en France. Même si Chéreau se sent un peu coincé dans ce TNP —  «comme dans une maison dont on ne pourrait bouger les meubles», l’audace et la diversité artistiques sont là. Chéreau essuie les planches en mai 1972 avec une monumentale adaptation de Massacre à Paris de Marlowe, avec en toile de fond la Saint-Barthélemy qui le hantait déjà. Planchon, lui, fait partie de la distribution, les pieds dans l’eau de la scénographie splendide de Richard Peduzzi, avant de présenter en novembre une de ses œuvres, La Langue au chat. Outre ces créations qui tournent beaucoup en France et dans le monde, se développe un travail incessant et qui perdure aujourd’hui auprès d’un public nouveau. Planchon multiplie les mises en scènes avec toujours au cœur de son travail le récit : «Cela m’a préoccupé toute ma vie. Qu’est-ce qu’un dialogue réussi sinon une action qui, par les mots, se précipite ?». Accordant aussi une place importante au décor, il collabore avec Max Schoendorff notamment (actuel directeur de l’URDLA) pour «faire sortir la peinture du tableau». N’oubliant pas son enfance ardéchoise et ses origines modestes, Planchon fait un théâtre accessible à tous et exigeant à la fois, une définition en somme du théâtre populaire.

Avec tous

Suivront à ses côtés Georges Lavaudant puis Christian Schiaretti qui assure la transition au début des années 2000. Tourné vers un théâtre de texte et héritier en ce sens de Vilar, celui qui arrive de la Comédie de Reims monte notamment pour la première fois en intégralité en France le magnifique texte de Michel Vinaver, Par-dessus bord. C’est sur ce spectacle que se referme le TNP avant trois ans de travaux en 2008. Le théâtre renait aujourd’hui avec quatre salles de répétitions et deux salles de spectacle dont la principale nommée d’évidence… Roger Planchon. Les autres portent le nom de Jean Bouise, Laurent Terzieff, Maria Casarès et Bob Wilson dont les fantômes réchauffent encore ces murs fraîchement bâtis. La liste est longue de ceux qui pourraient les accompagner au fronton à commencer par la bien vivante Isabelle Sadoyan, veuve de Bouise, qui a traversé toutes les époques jusqu’à être encore au générique de Ruy Blas qui ouvre cette ère nouvelle.

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