Thugs Life à l'Aquarium avec Patrick Foulhoux

Documentaire Rock / Dans sa belle série de soirées docu-rock à l'Aquarium, le Marché Gare propose Come On People ! (2009) qui revient sur la trajectoire du meilleur groupe de rock français que personne ne connaît, Les Thugs d'Angers, chouchous du label Sub Pop de l'apogée grunge, un quatuor de moines-soldats que la postérité n'a jamais intéressé.

« Bonsoir, on est Les Thugs, on vient d'Angers ! ».

Quiconque a eu la chance de voir Les Thugs en concert dans leurs fastes années peut témoigner du fait que sur scène vous aviez là, avec cette petite dizaine de mots, l'intégralité du discours dispensé dans la soirée par Éric Sourice, préposé au crachoir. Introduction lapidaire avant un set sans temps morts, déroulé pied au plancher et donc sans paroles. D'aucuns diraient qu'il en va alors des Thugs comme de Maxwell qualité filtre : ce n'est pas la peine d'en rajouter. Les titres joués et l'énergie dispensée parlant pour eux-mêmes, et pour l'esprit punk des origines, célébré pendant vingt ans dans une explosion de décibels.

C'est émus par le do it yourself de 1977, révélé dans la chambre angevine par les Sex Pistols et son sorcier aux dents vertes Johnny Rotten, que les frères Sourice, Éric (guitare) et Christophe (batterie), à peine sortis de l'adolescence, commencent à brutaliser des instruments électrifiés sur fonds d'accords chiches (mi, la, ré, pas plus), font et défont leurs armes dans les sous-sols d'un HLM parfumés à la mort aux rats. En 1983, naissent les Thugs, nom notoirement inspiré par une secte d'étrangleurs au service de la déesse Kali sévissant quelque part au fond de l'Inde du XVe siècle. Ou par des personnages secondaires des aventures de Donald Duck, l'histoire n'a pas tranché.

35 000 km

À l'époque, Angers n'est pas exactement Detroit — et sauf accident ne le sera jamais — et le quatuor façonne quasiment à lui tout seul le son de la scène locale. S'ils commencent par vider les salles avant de les remplir, leur furie sonique laissant d'abord perplexe, rapidement, Les Thugs gagnent le circuit indé et s'y font une petite réputation, y compris au-delà des frontières françaises : un premier 45 tours chez Gougnaf Mouvement se vend à quelques milliers d'exemplaires et donne du crédit aux Thugs jusqu'en Angleterre et aux États-Unis. Le deuxième mini-album Electric Troubles (1987), chez les Anglais de Vinyl Solution, est enregistré à Londres, le groupe tourne en Angleterre et a même les honneurs des mythiques Peel Sessions de la BBC radio. Autant de choses pour lesquels 90% des rockers français tueraient.

Mais le tournant est pour 1988 : à Berlin, dans un festival, Les Thugs, qui ont été rejoints par le troisième frère Sourice à la basse, Pierre-Yves, croisent Jonathan Poneman et Bruce Pavitt de Sub Pop. Les fondateurs du label mythique du grunge tombent au hasard des scènes sur Les Thugs et sont « immédiatement fascinés » par une musique « stupéfiante » qui à la rage sonique du grunge balbutiant et aux cavalcades punk a su ajouter les éléments hypnotiques du krautrock dont une partie du groupe est friande, à commencer par le guitariste Thierry Meanard.

Pavitt et Poneman, généralement convaincus que les groupes européens sont nuls, décident instantanément de faire une exception, de distribuer Les Thugs aux States et de leur mitonner une tournée de deux mois, 35 dates et 35 000 km en van, à travers les USA. Pas celle des grands Ducs, la tournée, loin de là : des clubs, des bars — à Dallas, le groupe joue devant une personne, autant dire que le triomphe est modeste. Mais pour qui se pique de rock et de la mythologie US qui s'y attache, c'est déjà la grande vie.

Tout doit disparaître

L'expérience marque aussi les suiveurs, médiatiques notamment, pour qui tourner aux États-Unis, même dans des bouges vides, a valeur de passe pour toutes les entrées. Les Thugs sont à la fois le plus américain des groupes français et le plus français des groupes américains. Sur les ailes de cette réputation immaculée, durant une période de cinq ans, le groupe enregistre successivement avec Iain Burgess, Butch Vig, Kurt Bloch (l'album As happy as possible se vendra à 40 000 exemplaires) et même le mythe Steve Albini (Strike, produit par Sub Pop mais qui s'avèrera une déception) et ouvrent pour les Breeders, Therapy?, Girls Against Boys et, à Neufchâtel, en février 1994, pour Nirvana dont c'est l'un des derniers concerts.

Dans la deuxième moitié des 90's, Les Thugs mettent un peu de pop, et de français, dans leur rock anglo-saxon, mais le cœur n'y est plus vraiment. Pour personne d'ailleurs : les labels se désintéressent et le rock, de toute façon, meurt une énième fois de sa belle mort (avant de renaître à l'orée des années 2000). Après un ultime Tout doit disparaître et une tournée d'adieu, le groupe jette l'éponge en 1999.

Il renaîtra de ses cendres en 2008, à l'initiative de Sub Pop qui fête ses vingt ans et invite le groupe à Seattle. Quelques dates suivent en France pour la joie sous le nom de No-Reform Tour, qui fera l'objet du documentaire présenté à l'Aquarium. Où Jonathan Poneman, le boss de Sub Pop énonce la plus belle épitaphe qui soit pour un groupe qui n'a jamais envisagé autre chose que la ligne droite et jamais dévié de ses principes : « un des meilleurs groupes du monde, Les Thugs étaient trop smart [intelligents / chics / brillants, comme on veut] pour être célèbres ».

C'était Les Thugs, ils venaient d'Angers.

Les Thugs, Come on People !
En présence de Patrick Foulhoux, auteur du livre Les Thugs – Radical History
À l'Aquarium le mercredi 13 octobre à 20h30

Rencontre avec Patrick Foulhoux
Au Livre en Pente le mercredi 13 octobre à 18h30

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